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CONFLIT, 97-98

ouverture à cassation contre le jugement ou l’arrêt qui aura ainsi violé les dispositions de l’ordonnance de 1828 ?

La négative a été jugée par un arrêt de la chambre civile de la Cour de cassation, en date du 21 juin 1859 (Dalloz, Rec. pér., 59, I, 252), ainsi motivé :

« Attendu que si, en présence d’un déclinatoire proposé par un préfet pour revendiquer la connaissance d’une affaire portée devant un tribunal, il est plus conforme à l’économie des règles établies par l’ordonnance du 1er  juin 1828, dans l’intérêt même du respect à maintenir pour les décisions de la justice, que le tribunal se borne à statuer dans son jugement sur la question de compétence, on ne peut cependant en conclure que le jugement qui prononce par une seconde disposition sur le fond, étant émané d’un tribunal qui n’est point dessaisi, soit nul comme entaché d’un excès de pouvoir, lequel n’existerait qu’autant qu’il aurait été ainsi statué après un arrêté de conflit, sur la communication duquel il doit être sursis à toute procédure judiciaire, aux termes des art. 27 de la loi du 21 fructidor an et 12 de l’ordonnance du 1er  juin 1828, ce qui n’est point le cas de l’espèce. »

On peut certainement douter de l’exactitude de cette solution. Si l’art. 27 de la loi du 21 fructidor n’a prescrit aux juges de surseoir qu’en cas de conflit, c’est que la procédure du conflit ne se composait pas alors de deux actes distincts ; c’est que la revendication administrative ne commençait pas alors par un déclinatoire préalablement adressé à l’autorité judiciaire c’est qu’elle se manifestait immédiatement et exclusivement par un arrêté de conflit. Quant à l’art. 12 de l’ordonnance de 1828, il ne fait que se référer à la loi de l’an III, il ne contient pas par lui-même une disposition nouvelle. Cet article, d’ailleurs, se borne à imposer au ministère public, en présence de l’arrêté de conflit, l’obligation de prendre des réquisitions expresses à fin de sursis. De ce que la même obligation ne lui est pas imposée en présence du déclinatoire, il s’ensuit simplement qu’il peut se dispenser de requérir que le tribunal ne passe pas outre au jugement du fond ; il ne s’ensuit pas que le tribunal ne doive pas se conformer, même d’office, aux prescriptions de l’ordonnance de 1828 sur ce point, et qu’il ne les viole pas s’il ne s’y conforme pas.

Ce que l’on peut dire surtout et ce que l’on a effectivement dit à l’appui de l’arrêt ci-dessus rapporté, c’est qu’en définitive l’intérêt administratif est suffisamment sauvegardé par la faculté d’élever le conflit, dans ce cas, après le jugement du fond. L’observation est juste, mais incomplète. À côté de l’intérêt administratif proprement dit, il existe un autre intérêt, également d’ordre public, qui peut se trouver gravement compromis par l’irrégularité que la Cour de cassation a considérée ici comme insignifiante. Supposons, en effet, que, le tribunal ayant statué à la fois sur le déclinatoire et sur le fond, le préfet use de la faculté qui lui appartient alors d’élever le conflit après le jugement du fond ; supposons que ce conflit soit confirmé et que l’affaire, renvoyée devant la juridiction administrative, y reçoive une solution différente de celle qu’elle avait reçue du jugement prématurément rendu par le tribunal. Sans parler des frais qui auront pu être faits et de l’exécution qui aura pu être donnée à ce jugement jusqu’à la notification de la décision sur le conflit, ce spectacle de deux jugements contradictoires n’est-il pas de nature à altérer, dans l’esprit des justiciables, le respect et la confiance qu’il importe d’assurer à la justice, quel que soit le corps chargé de la rendre, et n’est-ce pas précisément pour éviter ce danger que l’ordonnance de 1828 a prescrit au tribunal de laisser un intervalle entre le jugement sur le déclinatoire et le jugement sur le fond ?

Au surplus, quelle que doive être la conséquence de ce mode de procéder, il importe de répéter qu’il constitue une infraction aux règles tracées par l’ordonnance de 1828. En fait, l’expérience a prouvé et prouve tous les jours que cette infraction est bien rarement commise par les tribunaux.

98. L’autorité judiciaire, en prononçant sur le déclinatoire, ne doit d’ailleurs pas perdre de vue la nature spéciale de cet acte et la qualité en laquelle le préfet intervient pour revendiquer ainsi les prérogatives de l’administration : elle ne doit pas oublier qu’elle n’a pas devant elle une partie, mais un représentant de la puissance publique, agissant à ce seul titre ; elle ne doit donc pas, même quand elle rejette le déclinatoire, condamner le préfet aux dépens. C’est ce qui a été jugé par un arrêt de la Cour de cassation du 12 août 1835, qu’il nous paraît important de recueillir, parce qu’il atteste l’accord parfait de cette Cour et du Conseil d’État sur les caractères généraux du conflit. Cet arrêt, rendu sur un pourvoi formé par le procureur général, en vertu de l’art. 80 de la loi du 27 ventôse an VIII[1], est ainsi conçu :

« Attendu que ce n’est pas comme partie et comme exerçant les droits et actions, soit du domaine public, soit de l’administration départementale, que le préfet du Finistère a comparu devant le tribunal civil de Brest, mais qu’il n’y a comparu qu’en vertu de l’art. 6 de l’ordonnance du 1er  juin 1828, pour demander, comme magistrat et fonctionnaire de l’ordre administratif, agissant pour le maintien des juridictions, et ainsi dans l’intérêt général de la société, le renvoi par-devant l’autorité administrative d’une affaire à l’égard de laquelle il n’était pas en cause[2] ;

« Attendu qu’en condamnant le préfet du Finistère, en cette qualité, à une partie des dépens, et en frappant ainsi un magistrat, un fonctionnaire de l’ordre administratif, lequel, agissant dans le cercle de ses attributions et dans l’intérêt général de la société, n’était point son justiciable, le tribunal de Brest non-seulement a violé l’art. 130 du Code de procédure, qui n’autorise la condamnation aux dépens qu’entre les parties en cause, et

  1. Cet article autorise le Gouvernement, par la voie du procureur général près la Cour de cassation, et sans préjudice du droit des parties intéressées, à dénoncer à cette Cour, chambre des requêtes, les actes par lesquels les juges ont excédé leurs pouvoirs. La chambre des requêtes en prononce, s’il y a lieu, l’annulation.
  2. Eût-il été en cause, il n’aurait pas davantage pu être condamné aux dépens du rejet du déclinatoire présenté par lui, non comme partie, mais en vertu de l’art. 6 de l’ordonnance ; seulement il aurait pu être condamné aux dépens relatifs à l’exception d’incompétence qu’il aurait opposée antérieurement, ou simultanément, comme partie.