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CONFLIT, 91-93

cas qui nous occupe[1], a été encore explicitement confirmée, dans les mêmes termes, par d’autres décisions (31 déc. 1844, 12 août 1854), et elle a été acceptée implicitement en 1850 (19 juin et 18 nov.) par le Tribunal des conflits.

À vrai dire, elle ne repose guère que sur le motif qu’elle exprime elle-même malgré les efforts qui ont été quelquefois tentés pour la justifier à un autre point de vue, il est manifeste que l’interprétation antérieurement admise était seule conforme à l’esprit général de l’ordonnance de 1828. Le Conseil d’État l’a si bien senti lui-même qu’il n’est point allé jusqu’à imposer au préfet l’obligation d’élever, dans ce cas, le conflit, sans proposer un nouveau déclinatoire, et pourtant telle aurait dû être la conséquence de sa nouvelle jurisprudence car, en matière de conflits, les délais prescrits sont de rigueur, l’inobservation de ces délais emporte déchéance, et dès lors, si le conflit peut être élevé dans la quinzaine de l’acte d’appel, il doit l’être, à peine de nullité. Nous ne nous étonnons pas et surtout nous ne nous plaignons pas du défaut de logique qui a empêché de tirer ici cette conséquence du principe posé ; nous le constatons seulement, et nous ajoutons que, même depuis 1840, le Conseil d’État a autorisé les préfets à renouveler d’abord le déclinatoire sur l’appel du jugement de première instance qui y avait fait droit : il s’est, du moins, abstenu de condamner cette pratique, conservée par quelques préfets, et, sans statuer explicitement sur la question, il paraît l’avoir implicitement résolue en ce sens par diverses décisions des 20 août 1840, 23 juillet 1841, 16 juillet 1842, 30 août 1842, etc.

Au surplus, la dérogation apportée par la décision du 22 mai 1840 à la règle du déclinatoire, doit être strictement limitée dans ses termes. Si donc il ne s’agissait pas d’un déclinatoire proprement dit, si l’exception d’incompétence avait été seulement proposée en première instance par les parties, fût-ce même par le préfet agissant comme partie, le jugement qui aurait accueilli cette exception ne dispenserait pas le préfet, sur l’appel, de présenter le déclinatoire avant d’élever le conflit. Ainsi l’a jugé implicitement, mais virtuellement, une décision du 6 septembre 1842, qui a annulé un conflit élevé, dans une espèce de ce genre, par le préfet de la Côte-d’Or.

art. 3. — forme du déclinatoire

91. Le déclinatoire n’est soumis, dans sa redaction, à aucune condition particulière, sauf l’obligation de rapporter la disposition législative sur laquelle il est fondé. La forme la plus simple et la plus sûre est celle que prévoit l’art. 6, c’est-à-dire celle du mémoire ; mais, du reste, il peut être également présenté par voie d’arrêté motivé ; il peut même être contenu dans une lettre missive adressée au procureur de la République pour être soumise au tribunal ; le vœu de l’ordonnance est rempli, quand le préfet annonce clairement à l’autorité judiciaire, par l’intermédiaire de ce magistrat, qu’il entend revendiquer pour l’administration la connaissance de tel litige.

Mais, quelque large que puisse être le juge des conflits sur ces questions, il ne saurait cependant assimiler à un déclinatoire la simple intention de le présenter. Ainsi, dans deux affaires, sur lesquelles il a été statué les 6 et 20 février 1846, le préfet s’était borné à écrire au procureur du roi qu’il allait se mettre en mesure d’élever le conflit, et, après le jugement rendu, il avait pris immédiatement un arrêté de conflit : le Conseil d État a annulé ce conflit comme n’ayant été précédé d’aucun déclinatoire.

De même, dans une autre affaire, le préfet avait d’abord opposé, comme partie devant le tribunal, l’exception d’incompétence, et, de plus, avait écrit au procureur du roi pour prier ce magistrat de demander le renvoi au conseil de préfecture. Le tribunal ayant rejeté l’exception d’incompétence, le préfet écrivit de nouveau au procureur du roi pour réitérer ce qu’il appelait son déclinatoire, puis il interjeta appel et, la cour ayant confirmé le jugement, il éleva directement le conflit. Mais ce conflit a été annulé. (23 août 1843.)

92. L’ordonnance ne fixe pas le moment où le déclinatoire pourra être présenté. Elle suppose, évidemment, que l’instance est commencée par une assignation ; cependant il n’y aurait pas nullité si le préfet, en présence d’un acte extrajudiciaire qui annoncerait formellement l’intention d’engager la lutte, adressait immédiatement un déclinatoire au procureur de la République. (1er mai 1875.)

Du reste, saut l’interdiction d’élever le conflit après les jugements ou arrêts qui ont statué définitivement sur le fond du litige, l’ordonnance de 1828 n’impose pas au préfet l’obligation de présenter le déclinatoire dans un délai déterminé. Elle ne pouvait, en effet, fixer un délai de cette nature, même dans les cas où l’administration est en cause, et à plus forte raison dans les autres cas. Son désir est assurément que le déclinatoire soit présenté et qu’il y soit statué le plus tôt possible ; mais ce n’est là de sa part qu’un vœu dépourvu de sanction légale, et même elle n’a pas pris, pour en assurer l’accomplissement, toutes les mesures qu’elle aurait pu prendre ; cette réflexion va être justifiée par l’examen des règles qui concernent l’action des magistrats de l’ordre judiciaire en cette matière.

art. 4. communication du déclinatoire
au tribunal.

93. C’est au procureur de la République, en première instance, que le préfet doit adresser son déclinatoire. Ce magistrat est tenu, aux termes de l’art. 6, de le faire connaître, dans tous les cas, au tribunal ; mais il n’est obligé de requérir le renvoi qu’autant que la revendication administrative lui paraît fondée. Le tribunal statue ensuite sur ce déclinatoire et sur les conclusions du ministère public.

En cas d’appel, c’est au procureur général ou, plus généralement, au ministère public près le tribunal d’appel, que le déclinatoire doit être adressé. Ce point ne semble pas de nature à faire difficulté ; cependant, une espèce s’est présentée en 1857, dans laquelle un préfet avait cru pou-

  1. Elle a été adoptée contrairement aux conclusions du savant maître des requêtes (M. Boulatignier), qui remplissait, dans cette affaire, les fonctions du ministère publie. Témoin de la discussion qui s’engagea dans le sein du Conseil, nous croyons pouvoir ajouter, sans commettre aucune indiscrétion et sans manquer à aucune convenance, que l’ancienne jurisprudence du Conseil d’État fut vivement défendue par l’homme éminent (M. Girod, de l’Ain) qui présidait alors ce corps.