Page:Block - Dictionnaire de l’administration française, tome 1.djvu/564

Cette page n’a pas encore été corrigée
548
CONFLIT, 85-86

la cassation prononcée ? Ce n’est pas de renouveler l’instance, c’est de remettre la cause et les parties au même état qu’avant la décision cassée, qui est alors considérée comme non avenue. Or, avant cette décision, la cause et les parties étaient à l’état d’appel, et, à ce moment, le conflit n’aurait pu être élevé que par le préfet du département dans lequel était situé le tribunal saisi il doit en être exactement de même après la cassation, qui ne fait que supprimer l’arrêt cassé.

La jurisprudence du Conseil d’État a cependant eu de la peine à se fixer sur cette hypothèse. Deux décisions des 21 août 1845 et 24 décembre 1845, lors desquelles toutefois la question ne parait pas avoir été soulevée, semblaient avoir décidé implicitement, en n’annulant pas le conflit, qu’il pouvait alors être élevé par le préfet du département où siège la cour devant laquelle la Cour de cassation a renvoyé l’affaire à l’état d’appel, et cette solution implicite avait été explicitement confirmée par une décision. du 15 mai 1858. La doctrinecontraire résultait, mais ne résultait qu’implicitement, de deux décisions des 23 octobre 1835 et 1er juillet 1850. Enfin la question s’étant reproduite de nouveau devant le Conseil d’État en 1861, elle a donné lieu à une discussion contradictoire et elle a été formellement résolue dans ce dernier sens. (13 déc. 1861.)

Sect. 6. De la présentation du déclinatoire par le préfet et des obligations qui en résultent pour l’autorité judiciaire.

ART. 1. PRÉSENTATION DU DÉCLINATOIRE EN PREMIÈRE INSTANCE.

85. Les art. 5 et 6 de l’ordonnance du 1er juin 1828 sont ainsi conçus :

« Art. 5. A l’avenir, le conflit d’attributions ne pourra être élevé que dans les formes et de la manière déterminées par les articles suivants. »

« Art. 6. Lorsqu’un préfet estimera que la connaissance d’une question portée devant un tribunal de première instance est attribuée par une disposition législative à l’autorité administrative, il pourra, alors même que l’administration ne serait pas en cause, demander le renvoi de l’affaire devant l’autorité compétente. À cet effet, le préfet adressera au procureur du roi un mémoire dans lequel sera rapportée la disposition législative qui attribue à l’administration la connaissance du litige. Le procureur du roi fera connattre, dans tous les cas, au tribunal la demande formée par le préfet et requerra le renvoi, si la revendication lui parait fondée. »

M. Taillandier (p. 152) expose ainsi les motifs de cet article :

« Cet article est l’un de ceux qui contiennent des dispositions entièrement nouvelles sur les conflits. Pour mieux faire saisir en quoi consiste cette Innovation, il faut rappeler en peu de mots la manière dont on procédait jusqu’ici en cette matière. TJh préfet apprenait, soit par une partie intéressée, soit par le-bruit public, ou par toute autre volé, qu’une aflairfe qui lui paraissait administrative était soumise à la connaissance d’un tribunal, il prenait aussitôt un arrêté au moyen duquel il requérait qu’il fût sursis au jugement jusqu’à la décision du Conseil d’État sur la question de compétence. Cet arrêté de conflit, communiqué au tribunal par le ministère public, paralysait son action, et, sans que le juge eût été mis à même de prononcer sur sa compétence, il se voyait ainsi enlever violemment une cause qu’il aurait peut-être renvoyée lui-même devant l’autorité administrative, s’il eût été averti des dimcultés relatives à la compétence[1]. Il est impossible de nier qu’il y eût, dans cette manière de procéder, oubli de toutes les formes judiciaires et même violation de toutes les convenances sociales. »

Il y avait là surtout l’oubli complet de la nature même et du caractère du conflit. Le conflit, en effet, c’est la contradiction, c’est la lutte, et, dans le sens spécial qui nous occupe, c’est la ’lutte entre l’autorité judiciaire et l’autorité administrative son existence même est donc, avant tout, subordonnée au refus que fait l’autorité judiciaire de se dessaisir d’une contestation revendiquée par l’autorité administrative, et dé là il suit que, si l’autorité judiciaire n’est pas appelée à statuer sur sa propre compétence, il peut bien y avoir évocation, il n’y a pas conflit. La revendication exercée par l’administration n’est d’ailleurs fondée que sur une allégation d’incompétente ratione materiz. Or, le premier droit, comme le premier devoir de toute juridiction saisie d’un litige, c’est d’examiner sa propre compétence, sous quelque rapport qu’elle soit contestée. Ce n’est donc pas seulement par un juste et sage sentiment de déférence envers la magistrature, c’est aussi par une saine et stricte application dés principes de la matière que l’ordonnance de 1828 a introduit la formalité du déclinatoire. L’accomplissement de cette formalité, la nécessité de soumettre à une discussion publique et contradictoire les raisons de la revendication, peuvent enfin contribuer à éclairer l’administration elle-même sur la valeur de ces raisons et l’empêcher quelquefois de persister dans des prétentions qui viendraient échouer devant le jugé des conflits.

Le régime antérieur, tel qu’il avait été établi par l’arrêté du 1 brumaire an X et par une jurisprudence conforme à cet arrêté, avait cependant un avantage il permettait d’arrêter l’affaire dès son début et d’épargner ainsi aux parties les frais de procédure que le système actuel entraîne nécessairement. Aussi fut-il défendu par M. de Cormenin dans son rapport mais les motifs du système contraire devaient prévaloir et ont en effet prévalu sur cette considération, qui n’aurait d’ailleurs qu’une assez faible importance si, d’une part, le déclinatoire était toujours proposé dès qu’il peut l’être, et si, d’autre part, le tribunal était tenu d’y statuer dans un délai déterminé.

86. La jurisprudence du Conseil d’État et celle du Tribunal des conflits sur les questions qui sont nées de l’application de cette disposition attestent qu’ils se sont profondément pénétrés de la haute et légitime importance que les auteurs de l’ordonnance de 1828 ont attachée à la présentation du déclinatoire.

À peine avons-nous besoin de dire d’abord que, dans toutes les circonstances où un préfet, soit par inadvertance, soit autrement, à élevé le conflit sans avoir préalablement proposé le déclina-

  1. Tel était, en effet, le système établi par l’art. 4 de l’arrêté du 13 brumaire an X.