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CONFLIT, 61-67

(22 août 1839), encore bien que, pour le faire maintenir, on prétendit que le premier jugement n’avait pas statué définitivement sur le fond de la contestation[1].

61. Cette première règle doit, du reste, être sainement entendue. Ainsi, il existe des cas assez nombreux, en ce qui concerne l’État, les communes, etc., où le soin de pourvoir à l’exécution d’une condamnation judiciaire appartient à l’autorité administrative celle-ci pourrait évidemment revendiquer ses attributions à cet égard par la voie du conflit, dans le cas où, après qu’un jugement définitif aurait prononcé la condamnation, des difficultés administratives s’élèveraient sur le mode d’exécution. Cette solution avait été établie, avant 1828, par une décision du 23 avril 1823 ; nous pensons, avec M. DALLOZ (V° Conflit, n° 87), qu’elle devrait encore être adoptée aujourd’hui.

62. De même, ainsi que l’annonce l’art. 4 et que nous le verrons plus loin, le conflit peut être élevé, même après un jugement ou un arrêt définitif, lorsque l’autorité judiciaire a passé outre au jugement du fond, sans attendre l’expiration des délais accordés à l’administration pour exercer son droit.

63. Enfin, de ce que le conflit ne peut être élevé après un jugement en dernier ressort, il ne faut pas conclure que, si un jugement de cette nature vient à être attaqué par appel du chef de la compétence, il conserve, quant au fond, son caractère de jugement en dernier ressort, et qu’ainsi le conflit ne peut être élevé devant le juge d’appel. En effet, si 1 appel est accueilli, le litige tout entier sera remis en question devant les nouveaux juges qui seront appelés à en connaître. De plus, le droit d’élever le conflit en appel, même dans des cas où ils l’interdisaient en première instance, a été expressément réservé par les auteurs de l’ordonnance de 1828, et dès lors il y a, par analogie, même raison pour le cas qui nous occupe, c’est-à-dire pour le cas de l’art. 454 du Code de procédure. On peut consulter, en ce sens, les décisions des 19 octobre 1838, 4 mai 1843, 7 décembre 1844, etc.

64. En second lieu, nous avons dit que le conflit peut être élevé tant qu’il n’a pas été statué délinitivcment sur le fond de la contestation, et alors même que des décisions préparatoires ou interlocutoires, déjà intervenues dans le cours du litige, auraient implicitement ou même explicitement résolu la question de compétence. Cette interprétation de l’art. 4 de l’ordonnance a pourtant été contestée les termes de cet article ne la supposent pas nécessairement, et l’on a dit que, le conflit ayant pour objet de vider une question de compétence, il n’y avait plus lieu à conflit dès que cette question avait été tranchée par un jugement passé en force de chose jugée ou par un arrêt détinitif, encore bien que ce jugement ou cet arrêt n’eût pas statué sur le fond du procès. Mais le conflit n’est pas seulement destiné à amener la solution théorique de difficultés de compétence ; il tend à revendiquer les attributions pratiques de l’administration, à ramener entre ses mains la décision effective des litiges qu’il lui appartient de décider ; dès lors il Huit que ce but puisse être poursuivi, tant qu’un obstacle supérieur, résultant de la chose jugée, ne vient pas s’y opposer, et de là il suit que la chose jugée doit s’entendre, en ce sens, de celle qui a irrévocablement mis un terme au litige réclamé par l’administration. La jurisprudence du Conseil d’État a d’autant moins hésité à entrer dans cette voie, qu’elle devait naturellement incliner à étendre plutôt qu’à restreindre les limites du conflit : elle a été, du reste, suivie et sanctionnée par celle du Tribunal des conflits.

Ainsi un jugement rendu entre les parties sur l’exception d’incompétence soulevée par l’une d’elles ne fait pas obstacle à ce que le préfet intervienne pour proposer le déclinatoire et élève, s’il y a lieu, le conflit, tant que le tribunal n’a pas statué sur le fond. Cette première proposition a été établie par de nombreuses décisions, parmi lesquelles il nous sumt d’indiquer les plus récentes, et notamment celles des 4 mai 1870, 12 décembre 1868, 6 avril 1863, 15 janvier 1863, etc.

65. Il en est ainsi alors même que l’exception d’incompétence a été proposée par le préfet, figurant dans l’instance comme partie le rejet de cette exception ne s’oppose pas à ce qu’il remplisse ensuite, comme préfet, au nom et dans l’intérêt du pouvoir administratif, la mission qui lui est confiée par l’ordonnance de 1828 ; une telle décision ne l’empêcherait donc pas[2] de présenter le déclinatoire et d’élever le conflit devant le même tribunal, tant que le fond n’est pas jugé. (14 sept. 1852, 2 juin 1853, 28 juill. 1864, 11 janv. 1873, etc.)

66. Si telles sont les règles établies pour les cas où il existe des décisions formelles sur la question de compétence, à plus forte raison ontelles été appliquées aux cas où cette question n’a été qu’implicitement tranchée car, dans ces cas, l’autorité judiciaire elle-même pourrait encore se déclarer incompétente ratione materiœ. Ainsi, par exemple, un jugement a ordonné une expertise sur un litige que le préfet revendique ensuite pour l’administration ce jugement ne dessaisit point définitivement le tribunal, puisqu’il n’a point statué sur le fond il ne le dessaisit même point provisoirement, c’est-à-dire jusqu’à ce que les parties reviennent plaider sur l’expertise ; le conflit élevé dans cette situation n’est donc ni tardif ni prématuré. (22 mai 1840, 2 déc. 1853.)

67. La doctrine qui résulte de ces précédents ne s’applique pas seulement aux jugements de première instance ; elle s’applique aussi à l’appel, dans le cas où le conflit peut être élevé en appel. Ces cas comprennent, aux termes de l’art. 4 : 1° celui où le conflit n’a pas été élevé en première instance ; 2° celui où il y a été élevé irrégulièrement. Il faut y joindre, d’après l’art. 8, le cas où, le déclinatoire ayant été admis par le tribunal de première instance, la partie intéressée interjette appel de ce jugement.

De ces trois cas, le premier peut se réaliser dans deux hypothèses ou bien la revendication administrative n’a pas même été exercée par la présentation du déclinatoire ; ou bien, après le déclinatoire proposé, après le rejet de ce déclina-

  1. Voy. aussi 30 nov. 1869.
  2. Non-seulement elle ne l’en empêche pas, mais elle ne l’en dispense pas, ainsi que nous le verrons.