Page:Block - Dictionnaire de l’administration française, tome 1.djvu/553

Cette page n’a pas encore été corrigée
537
CONFLIT, 35-37

peut dépendre de l’interprétation d’un acte de vente nationale cette interprétation constitue alors une question préjudicielle administrative.

35. Sans insister sur ces idées suffisamment claires par elles-mêmes, il importe de se fixer xactement sur le caractère distinctif de ces quesions qui peuvent ainsi donner lieu à l’intervention i-e l’administration dans une affaire à laquelle elle st d’ailleurs étrangère. En principe, la question préjudicielle, dans le sens de l’ordonnance de 828, n’est pas celle qui peut se présenter à côté dune autre question, et qui, si elle est tranchée d’une certaine façon, terminera égalementle litige ; la question préjudicielle est uniquement celle qui doit nécessairement être tranchée avant et pour le jugement du fond, et c’est ce que l’ordonnance a entendu exprimer quand elle a exigé que ce jugement en dépendît. Supposons, par exemple, un procès entre deux personnes sur la propriété d’un immeuble et supposons que le défendeur, actionné en revendication, se prévale à la fois d’un acte de vente nationale, dont le sens est contesté par la partie adverse, et de la prescription si le tribunal, écartant la première de ces questions, se borne à examiner la seconde, il ne sort point des limites de ses attributions, et le conflit qui serait alors élevé devrait être annulé. (5 sept. 1842.) Qu’est-ce, en effet, que le conflit ? C’est le moyen de maintenir les droits de l’administration et le principe de la séparation du pouvoir ; or, dans la situation que nous venons d’indiquer, l’autorité judiciaire ne porte aucune atteinte à ce principe, elle ne tranche et même elle ne préjuge aucune question qu’il ne lui appartienne pas d’examiner elle se renferme strictement dans les bornes de sa compétence.

Ce procédé est même, il faut en convenir, essentiellement conforme à l’intérêt des justiciables et aux règles d’une bonne administration de la justice. Les questions préjudicielles, en effet, entrainent souvent, pour les parties, les plus graves inconvénients elles font deux procès devant deux juridictions elles aggravent les frais, les lenteurs, les incertitudes de la lutte elles sont, à ce point de vue, bien autrement fâcheuses qu’une évocation intégrale du litige, qui en transporterait la connaissance exclusive à une seule et même autorité. Que de fois il est arrivé, en matière de ventes nationales, que les parties qui avaient passé des années à plaider devant le conseil de préfecture et le Conseil d’État, se trouvaient, après l’arrêt définitif de la juridiction administrative, au même point qu’avant d’y être renvoyées Que de fois il est arrivé que cet arrêt s’est borné à une simple déclaration qui délaissait les parties à se retirer devant l’autorité judiciaire pour y débattre, d’après le droit commun et leurs titres privés, le seul objet du procès, c’est-à-dire les conséquences utiles à tirer de cette déclaration Les questions préjudicielles ne devraient donc être soulevées qu’avec le plus extrême scrupule et seulement en cas de véritable nécessité.

Tel est, enfin,’ l’esprit général de la jurisprudence en cette matière. Le conflit a pour objet de revendiquer les questions administratives dont l’autorité judiciaire refuse de se dessaisir, et c’est par ce motif qu’elle est préalablement appelée à se dessaisir elle-même. Aussi, toutes les fois que le Conseil d’État et le Tribunal des conflits se sont trouvés en présence de conflitsqui portaient uniquement sur des questions de cette nature, c’està-dire sur des questions simplement éventuelles et que le juge saisi avait lui-même réservées ou écartées, ils se sont contentés de prendre acte, en quelque sorte, de cette déclaration ils ont annulé le conflit ou l’ont considéré comme non avenu, en tant qu’il portait sur ces questions, et ils ont simplement statué sur les points à l’égard desquels le dissentiment pratique et actuel entre l’autorité judiciaire et l’autorité administrative, c’est-à-dire le conflit, subsistait.

Cette jurisprudence, parfaitement sage, parfaitement conforme aux principes, ne résulte pas seulement de la décision ci-dessus indiquée du 5 septembre 1842 ; elle est établie également par une foule d’autres décisions analogues, parmi lesquelles il nous suffit de renvoyer à celles des 30 mars 1842, 23 juillet 1844, 30 mai 1845, 13 décembre 1845, 22 novembre 1851,24 juillet 1850, 4 juin 1857, 25 mai 1861[1], etc.

36. Nous rappelons enfin, en terminant sur ce point, que le conflit pourrait encore être élevé pour revendiquer, dans une affaire correctionnelle, l’action civile qui se trouverait jointe à l’action publique, si, du reste, la connaissance de cette action civile appartenait à l’autorité administrative (no 28).

ART. 3. DES CONFLITS DEVANT LES TBIBUNADX DE 1 re tNSTANCE ET DEVANT LES COURS D’APPEL.

37. On vient de voir que le conflit ne peut, en principe, être élevé devant la juridiction criminelle, et qu’il peut l’être, dans des limites déterminées, devant la juridiction correctionnelle.

Quelles sont maintenant les autres juridictions judiciaires devant lesquelles il peut ou ne peut pas être élevé ?

Il n’y a pas de difficulté d’abord, du moins pour les cas ordinaires, en ce qui touche les tribunaux civils de première instance et les cours d’appel c’est là que, par la nature même des choses, le conflit se présente le plus souvent ; c’est dans cette prévision qu’ont été conçues et rédigées les dispositions de l’ordonnance de 1828. Il importerait peu, du reste, que le litige rentrât dans la catégorie des affaires ordinaires ou des

  1. Cette dernière décision est ainsi conçue : « Considérant que le tribunal civil, qui est compétent pour prononcer sur l’existence du droit de servitude réclamé pur’ la commune et dénié par la dame Petiville et le sieur lung, l’est aussi pour rechercher et apprécier les éléments constitutifs du droit ; qu’au cas où il serait reconnu que le droit de servitude n’existe pas au profit de la commune, l’autorité judiciaire ne pourrait, sans violer les lois sur la séparation des pouvoirs ordonner la suppression ou la modification d’ouvrages exécutés par l’administration dans l’intérêt de la voie publique. « Mais que ]a question de savoir si la rigole, en admettant son existence établie, est un appendice de l’aqueduc, n’est, pas nécessairement préjudicielle au jugement de la question de servitude, et que le tribunal, dans le jugement rendu sur le déclinatoire, n’a retenu la connaissance d’aucun point sur lequel il appartiendrait à l’administration de prononcer ; que dès lors c’est à tort que le conflit d’attributions a été élevé, etc. » Une doctrine différente semble, il est vrai, résulterd’une décision du 20 mars 1 852 {commune d. Péneatin), dans l’espèce de laquelle il était certain, en se reportant aux faits, que la question revendiquée par l’administration n’était pas nécessairement préjudicielle. Mais la solution adoptée dans cette espèce est trop peu précise pour qu’il soit possible d’y découvrir et d’en dégager avec certitude une règle contraire à celle qui avait prévalu jusque-là, et qui, du reste, a été reproduite depuis.