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CONFLIT, 30-34

ART. 2. DES ÇONFLITS EN MATIÈRE COBHECT1ONNELLE, ET, EN GÉNÉRAL, DES QUESTIONS PRÉJUDICIELLES QUI PEUVENT Y DONNES LIED, MÊME EN MATIBKE CIVILE.

30. « 11 ne pourra, dit l’art. 2 de l’ordonnance de 1828, être élevé de conflit en matière de police correctionnelle que dans les deux cas suivants 10 lorsque la répression du délit est attribuée par une disposition législative[1] à l’autorité administrative 2° lorsque le jugement à rendre par le tribunal dépendra d’une question préjudicielle dont la connaissance appartiendrait à l’autorité administrative en vertu d’une disposition législative. Dans ce dernier cas, le conflit ne pourra être élevé que sur la question préjudicielle. »

Malgré sa forme limitative, cette rédaction réserve au pouvoir administratif tout ce qu’il est intéressé et fondé à se réserver dans les matières correctionnelles car, ainsi que l’a fait remarquer M. BOULATIGNIER (p. 463), il serait assez difficile d’imaginer la possibilité d’un conflit en ces matières, s’il avait un autre objet que de revendiquer, soit la connaissance des délits dont la répression est exceptionnellement attribuée aux juridictions administratives, soit la solution de questions préjudicielles administratives.

Cependant il ne faut pas exagérer la portée de cette observation et en conclure que l’art. 2 de l’ordonnance de 1828 n’a apporté aucune restriction aux prétentions possibles de l’administration. Si cet article n’existait pas, l’administration pourrait essayer de soutenir que, sans réclamer le droit de juger et de punir les délits, c’est à elle qu’il appartient de décider, en cas de contestation, si tel fait, poursuivi comme délit par le ministère public ou par la partie lésée, constitue bien un délit ou s’il n’a pas un caractère exclusivement administratif. D’une part, en effet, elle n’userait pas, dans cette hypothèse, de la faculté établie par le lCTde l’article précité, puisquelle ne revendiquerait pas le jugement d’un délit. D’autre part, elle ne se placerait pas non plus dans le cas prévu par le 2 car elle ne revendiquerait pas une question préjudicielle, elle revendiquerait la question même du fond, c’est-à-dire la question de savoir si le fait allégué constitue un délit prévu et puni par les lois.

31. Ainsi qu’on vient de le voir, le premier cas où le conflit est possible dans les affaires correctionnelles, concerne celles dont la connaissance est attribuée à l’administration par une disposition législative. Ici l’on n’a pas à se demander, comme on aurait pu être amené à le faire pour les crimes, si l’ordonnance a pu déroger à la loi car elle a précisément réservé le droit établi par les lois existantes. Cette réserve ne semble pas, à première vue, devoir donner lieu à de bien graves difficultés dans la jurisprudence, puisqu’il suffit de rechercher s’il existe une disposition législative qui attribue à l’autorité administrative la connaissance de tel ou tel délit, et comme une disposition de ce genre ne peut être, dans notre législation, qu’une exception, elle doit être clairement et formellement écrite, elle ne peut être créée par induction ou suppléée par analogie. L’exception ne comprend guère que les délits ou contraventions de grande voirie et ceux qui leur sont assimilés dans certaines matières spéciales, telles que les servitudes militaires.

32. Le Conseil d’État avait pourtant découvert une autre exception en matière de diffamation ou d’injure, alors que cette diffamation ou cette injure était consignée dans la délibération d’un conseil municipal. Par diverses décisions de 1842, 1854, 1866 et mai 1870, il avait décidé qu’il résulte de fart. 60 de la loi des 14-22 décembre 1789 que tout citoyen qui se croit lésé par un acte quelconque d’uncorps municipal, ne peutqu exposer ses sujets de plainte à l’autorité admtnistrative supérieure, laquelle y fait droit, s’il y a lieu, après vérification des faits, d’où il avait conclu que la répression du délit de diffamation ou d’injure, commis dans un acte de cette nature, était attribuée par une disposition législative à l’autorité administrative. Mais cette solution, démentie par les termes mêmes du texte invoqué et de celui qui le suit immédiatement, et combattue par la .plupart des auteurs[2] ainsi que par les divers commissaires du Gouvernement qui avaient eu à s’en expliquer (MM. Boulatigmer, AUCOC et Perret1. a été condamnée par deux décisions (7 mai 1871 et 18 mai 1872), de la commission provisoire qv.i a momentanément remplacé le Conseil d’État après le 4 septembre 1870, et nous ne croyons pas qu’elle ait désormais la moindre chance d’être reproduite.

33. En second lieu, le conflit peut être élevé en matière correctionnelle, lorsque le jugement à rendre dépend d’une question préjudicielle dont la connaissance appartient à l’autorité administrative en vertu d’une disposition législative seulement il est bien clair qu’alors le ce nlit ne peut porter que sur cette question préjudicielle.

Ainsi, par exemple, des ouvriers, employés à l’exécution de travaux publics, sont cités en police correctionnelle pour avoir, par imprudence, négligence, ou inobservation des règlements, causé involontairement un homicide, ou fait des blessures à un particulier (C. P., art 319 et 320) ils se défendent en alléguant qu’ils n’ont fait que se conformer aux ordres de 1 administration, et l’administration intervient pour s’associer à cette défense ou même pour en prendre l’initiative. Évidemment, si le jugement à intervenir dépend de l’examen de cette allégation, il y a là une question préjudicielle que l’autorité administrative a seule le droit de résoudre. Ainsi l’a jugé le Conseil d’État les 23 avril 1840, 26 avril 1847, etc.

34. Ce n’est pas seulement, du reste, en matière correctionnelle, c’est aussi en matière civile que l’administration, tout en étant incompétente pour prononcer sur le fond de certaines affaires, peut avoir à revendiquer la connaissance de questions préjudicielles. Ainsi, dans un procès sur la propriété d’un immeuble, le jugement à rendre

  1. Et non pas seulement par une loi. Les rédacteurs de l’ordonnance de 1828 n’ont pas voulu qu’il fût possible de remettre en question la légalité et la force obligatoire des décrets impériaux, même inconstitutionnels, que la jurisprudence a assimilés, sous ce rapport, aux lois proprement dites. Leur intention à cet égard est attestée par M. TaiIlandier (p. 167).
  2. Voir notamment MM. Serrigny (2{{e}) édit., t. Ier, no 169) ; Batrie, Droit public et administratif, t. II, p. 394 la Revue critique de législation, 1re série, t. XXX, p. 112, etc.