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CONFLIT, 27-29

sous un gouvernement régulier, les auteurs de l’ordonnance de 1828 ont voulu enlever tout prétexte d’alarme en sacrifiant le droit lui-même.

27. Quel est le sens de cette disposition ? Signifie-t-elle non-seulement que le droit de punir les crimes ne pourra jamais être revendiqué par l’administration, mais que, si une question préjudicielle, dont la connaissance appartiendrait à l’administration, vient à s’élever dans un procès criminel, cette question ne pourra pas donner lieu à conflit[1] ? Signifie-t-elle que, si à l’action publique est jointe, conformément à l’art. 3 du Code d’instruction criminelle, une action civile en réparation du tort causé par le crime, et si cette dernière action est de la compétence administrative, elle ne pourra donner lieu à conflit ?

La rédaction de l’art. 1er  permet évidemment de soutenir que le conflit a été proscrit, non pas seulement quant à la répression proprement dite du fait criminel, mais même quant à tous les incidents qui peuvent s’y rattacher : car elle interdit de l’élever en matière criminelle. De là il semble résulter d’abord que, si une question préjudicielle administrative vient à s’élever dans le cours d’un procès criminel, le tribunal saisi pourra et devra bien s’arrêter jusqu’à ce que cette question ait été vidée par l’autorité compétente ; mais s’il ne croit pas devoir s’arrêter, s’il excède la limite de ses pouvoirs en retenant la question dont il s’agit, si cet excès de pouvoir n’est pas déféré à l’autorité supérieure dans la hiérarchie judiciaire ou s’il n’est pas réprimé par cette autorité, l’administration n’aura pas la possibilité de revendiquer ses prérogatives par la voie du conflit. De là il semblerait résulter en second lieu que, si la partie lésée par un crime usait du droit de joindre son action civile en réparation à l’action criminelle intentée par le ministère public, il n’y aurait jamais lieu, dans ce cas, à élever le conflit sur cette action en réparation, alors même que celle-ci, prise isolément, serait de la compétence administrative et cependant, si les deux actions n’étaient pas jointes, si la réparation du dommage n’était poursuivie qu’après le jugement du crime, ou après l’extinction de l’action publique par le décès du coupable, et si de plus la connaissance en était attribuée par la loi à l’autorité administrative, celle-ci alors aurait incontestablement le droit d’élever, au besoin, le conflit pour la revendiquer.

28. Ces questions ne se sont pas présentées, au moins en matière criminelle, devant le juge des conflits. Mais en matière correctionnelle, où le conflit ne peut, aux termes de l’art. 2 de l’ordonnance de 1828, porter que sur les questions préjudicielles, ou bien sur les délits dont la répression est attribuée à l’autorité administrative, le premier tribunal des conflits a décidé (17 avril 1851) que le conflit peut être élevé sur l’action civile jointe à l’action publique, encore bien qu’il ne s’agit là ni de l’un ni de l’autre des deux cas limitativément prévus par cet article, et que, par suite, l’interdiction semblât être alors exactement la même qu’en matière criminelle.

En d’autres termes, ainsi que l’a fait remarquer M. Lkbon en rapportant cette décision (Recueil des arrêts du Conseil, 1851, p. 286), l’art. 2 de l’ordonnance du tel juin 1828, qui limite à deux cas la faculté d’élever le conflit en matière de police correctionnelle, n’a entendu parler que de l’action correctionnelle elle-même, et non de l’action civile qui peut s’y trouver jointe. Cette solution, ajoute M. LEBON, est d’autant plus importante que les motifs exprimés dans la décision la rendraient applicable même en matière criminelle, nonobstant la disposition absolue de l’art. l€r de la même ordonnance.

Nous adoptons, quant à nous, cette dernière interprétation nous croyons que telle a été la pensée et que telle serait la portée de ce précédent. Nous n’en concluons pas toutefois que le conflit pût être élevé en matière criminelle sur de simples questions préjudicielles. Une question de cette nature ne se détache pas de l’affaire ellemême comme l’action civile se détache de l’action publique. Au premier cas, il n’y a qu’une seule affaire, comprenant seulement ou pouvant comprendre des questions distinctes au second cas, il y a deux affaires distinctes, nées du même fait, pouvant être réunies, mais pouvant aussi être séparées. Au premier cas, il n’y a qu’une seule action, l’action criminelle, comprenant seulement des éléments divers au second cas, l’action criminelle et l’action civile, quoique portées devant la même juridiction, n’en constituent pas moins deux actions. Ainsi, au premier cas, la prohibition absolue de l’art. 1er de l’ordonnance est littéralement applicable, et dès lors elle doit recevoir son application ; au second cas, l’action civile, accidentellement jointe à l’action criminelle, ne constitue pas pour cela une matière criminelle, et dès lors la disposition exceptionnelle de cet art. 1er ne doit pas faire obstacle, s’il y a lieu, à l’application des principes ordinaires de la compétence.

29. Il va sans dire, du reste 1° qu’il n’appartiendrait qu’à l’autorité judiciaire de décider, en cas de contestation sur ce point, si l’action est réellement intentée en matière criminelle ; 2° que, si la partie lésée par un fait qui, en le supposant prouvé, constituerait un crime, se borne à intenter une action civile à raison de ce fait, le conflit pourra être très-régulièrement élevé sur cette action, encore bien qu’il soit interdit en matière criminelle. Cette question, qui n’en est vraiment pas une, a été soulevée devant le Conseil d’État à propos d’une instance portée par le sieur Legat devant le tribunal civil de la Seine contre l’administration des postes, et qui avait pour objet de faire condamner cette administration, comme civilement responsable des actes de ses employés, à remettre au réclamant nne lettre égarée ou soustraite à la poste ou à l’mdemniser de cette perte. Sur le conflit auquel donna lieu ce litige, le sieur Legatexcipa de l’art. 1er de l’ordonnance de 1828 ; mais la décision intervenue (9 févr. 1847) a fait justice de cette prétention.

  1. Les exemples de questions préjudicielles administratives, pouvant s’élever en matière criminelle, ne sont pas difficiles à citer. Ainsi un arrêt de la Cour de cassation, du 13 juillet 1819, a jugé qu’un comptable de deniers publics, poursuivi pour dilapidation, ne pouvait être déclaré coupable de ce fait qu’après que l’autorité compétente avait préalablement décidé qu’il était en effet reliquataire dans les comptes de sa gestion, et qu’en conséquence le tribunal devait, si le comptable soulevait cette question préjudicielle, surseoir à statuer jusqu’à ce qu’elle eut été vidée par qui de droit, c’est-à-dire ici par l’autorité administrative.