Page:Block - Dictionnaire de l’administration française, tome 1.djvu/550

Cette page n’a pas encore été corrigée
534
CONFLIT, 22-26

tratif engagé dans le débat. Il ne lui appartiendrait point, par exemple, d’user de ce procédé pour faire attribuer au jury d’expropriation, juridiction judiciaire, le règlement d’une indemnité qu’un tribunal prétendrait retenir. (15 déc. 1853, 12 mars 1863[1].)

22. De même, il peut arriver et il arrive tous les jours que les prérogatives les plus considérables du pouvoir exécutif sont engagées devant les tribunaux, sans que cependant elles puissent être revendiquées et défendues par le moyen du connit pour que cette arme puisse être employée, il faut qu’il s’agisse des prérogatives de l’autorité administrative, et il faut de plus que le soin de maintenir ces prérogatives soit commis à l’administration, ou parles lois générales de l’organisation politique et administrative du pays, ou par les dispositions formelles de lois spéciales. Rien n’était plus grave, par exemple, au point de vue politique et administratif, que le maintien de la garantie accordée aux agents du Gouvernement par l’art. 75 de la constitution de l’an VIII une jurisprudence qui aurait décidé mal à propos que cette garantie n’était pas due à tels fonctionnaires, qu’elle ne couvrait pas tels actes, aurait presque équivalu à l’abrogation du principe lui-même et aurait ainsi devancé l’abrogation formelle qu’a prononcée le décret du 19 septembre 1870 ; cependant, comme nous le verrons bientôt, le conflit ne pouvait, sous aucun prétexte, être élevé en cette matière.

Il serait facile de multiplier les exemples analogues. Ils tiennent tous à cette idée que le connit n’est qu’un moyen spécial de maintenir l’ordre des compétences, dans les cas prévus et dans les limites posées par les lois, entre l’autorité administrative et l’autorité judiciaire, et que si, en dehors de ces cas et de ces limites, des empiétements ou des excès de pouvoir sont commis par telle ou telle juridiction judiciaire, c’est par la sagesse de l’autorité judiciaire elle-même, c’est par le recours à ses divers organes et en dernier lieu à la Cour de cassation, que ces entreprises peuvent et doivent être réprimées.

23. La jurisprudence du Conseil d’État présente une seule dérogation à cette règle élémentaire et fondamentale. Dans sa décision du 18 juin 1852, relative à l’affaire de la confiscation des biens de Il maison d’Orléans, le Conseil d’État, après avoir prononcé l’annulation partielle du conflit, ne l’a pas maintenu pour le surplus comme revendiquant telles ou telles questions pour Caulorité administrative ; il l’a maintenu comme ayant affirmé avec raison l’incompétence de l’autorité judiciaire sur ces questions, sans remarquer (ou tout en remarquant fort bien) que cette circonstance, isolée de l’affirmation de la compétence administrative, ne pouvait avoir d’autre effet que de provoquer, dans la sphère judiciaire exclusivement, le dessaisissement du tribunal devant lequel l’action était portée.

24. Il faut enfin, pour qu’il y ait conflit, que l’autorité judiciaire, sur l’avertissement qui lui a été donné de l’empiétement qu’elle va commettre, sur la demande qui lui a été faite de renvoyer l’atfaire à l’autorité administrative, ait refusé de se dessaisir et ait persisté à se déclarer compétente. Si donc, par exemple, un tribunal, sur le déclinatoire du préfet, se déclare incompétent pour connaître de quelques-unes des questions comprises dans ce déclinatoire et se home à retenir les autres questions, le conflit n’existe évidemment qu’à l’égard de celles-ci, et dès lors il n’y a lieu d’y statuer que dans ces limites. Ainsi jugé par deux décisions des 10 septembre 1845 et 17 décembre 1847.

Cette dernière condition de l’existence du conflit se rattache, du reste, aux explications que nous aurons à présenter dans la section 6.

Sect. 3. — Des matières qui peuvent donner lieu au conflit positif et des juridictions devant lesquelles il peut être élevé.

ART. 1. DES CONFLITS EN MAT1ÈBE CRIMINELLE.

25. L’ordonnance du 1er juin 1828 n’a point essayé d’énumérer et de définir les matières dans lesquelles le conflit positif pourrait être élevé ; ses auteurs ont compris que ce serait un programme à peu près impossible à remplir, et que d’ailleurs le but d’un tel travail était suffisamment atteint par l’obligation qu’ils imposaient à l’administration d’appuyer toujours ses arrêtés de conflit sur le texte formel d’une disposition législative.

Toutefois, indépendamment de cette garantie générale, l’ordonnance du 1 er juin 1828 a indiqué, par voie d’exclusion, certaines matières qui ne peuvent donner lieu au conflit, certaines juridictions devant lesquelles il ne peut être élevé.

26. Ainsi, par son art. fer, elle a disposé qu’à l’avenir le conflit ne serait jamais élevé en matière criminelle.

À première vue, la précaution peut sembler superflue car, à part quelques exceptions remontant aux plus tristes jours des diverses époques de nos désordres politiques, la répression des crimes n’est pas, chez nous, commise à l’autorité administrative. On voit cependantque l’ordonnance a statué pour l’avenir ; l’abus a donc existé dans le passé. On trouve en effet, sous le Directoire, des cas assez nombreux de conflits élevés en matière criminelle on en trouve, par exemple, dans quelques affaires concernant des émigrés, des prêtres déportés qui, aux yeux du Gouvernement, étaient trop favorablement traités par certaines juridictions, et, même en dehors de ces faits purement révolutionnaires, on en pourrait citer d’autres en matière, de poursuites dirigées, sans s autorisation préalable, contre les agents du Gouvernement, contre les officiers de l’état civil, etc.[2]

Mais, quoique le retour de tels abus fût, comme l’a dit M. Bodlatignier, peu à craindre

  1. Les mêmes principes ont été rappelés par une décision d 26 juin 1852, qui n’a, du reste, pas eu à en faire l’application proprement dite à l’espèce sur laquelle elle est intervenue. Dans cette espèce, le préfet maritime de Toulon avait présenté deux mémoires en déclinatoire le premier revendiquait certaines questions préjudicielles pour l’autorité administrative le second présentait, sur le fond, des observations tendant à établir la compétence des prud’hommes pêcheurs, juridiction judiciaire, plutôt que celle du tribunal de commerce. Le Conseil d’État, aratuant sur une question relative à la régularité du conflit, a Inséré dans sa décision le motif suivant :

    « Considérant… que si, dans un second mémoire, à la date du 27 janvier 1852, le même préfet a cru pouvoir, en dehors des droits qui lui appartenaient d’après l’ordonnance du 1er juin 1828, présenter des observations en faveur de la compétence de la juridiction des prud’hommes pêcheurs, la Cour d’Aix, par son arrêt du 3 mars 1852, a statué, etc. »

  2. Voir à ce sujet le rapport de M. de Cormenin.