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CENTRALISATION ET DÉCENTR.

lois municipales et départementales de 1837 et 1838, de 1855, 1866, 1867 et 1871, et actuellement, comme il sera démontré ailleurs, nous pouvons très-honorablement comparer nos libertés locales avec celles de n’importe quel autre pays. Selon nous, la question est donc résolue en France, du moins en principe ; le reste est affaire de perfectionnement, de détail, de pratique plutôt que de théorie ; d’opportunité, d’appréciation personnelle plutôt que de doctrine.

sommaire.

CHAP. I. LES OPINIONS. LE POUR ET LE CONTRE.
Sect. 1. Opinion de M. de Cormenin.
2. Opinion de M. de A. Tocqueville.
3. Opinion de M. Vivien.
4. Opinion de M. Odilon Barrot.
CHAP. II. LES FAITS.
Sect. 1. Les attributions et ceux qui les exercent.
2. Les attributions naturelles des communes.
3. Les communes dans les pays étrangers.
4. Les règlements.

CHAP. I. — LES OPINIONS. LE POUR ET LE CONTRE.

Nous commencerons par faire connaître sur la centralisation l’opinion de quelques-uns des plus éloquents amis et ennemis de ce système administratif, non que ces opinions soient toujours bonnes — en général, il faut se défier de l’éloquence, — mais elles ont exercé une influence considérable sur le public, et le lecteur doit être mis à même de juger en connaissance de cause. Nous avons conservé, autant que possible, les termes mêmes des auteurs, en quelques endroits nous avons dû les résumer.

Sect. 1 — Opinion de M. de Cormenin.

Ce qui suit est tiré de la célèbre Introduction au Droit administratif. Nous nous servons de la 5e édition ; Paris, 1840 :

« Chaque pays a ses institutions, chaque institution ses problèmes, et chaque problème sa solution propre. Chez nous, la centralisation a résolu le grand problème de l’unité dans le territoire, la législation et le gouvernement. »

Le caractère français tend à l’unité, à la généralisation des systèmes, à la codification des lois, à l’homogénéité de toutes les branches du service public. À cette première cause de la centralisation s’ajoutent l’accroissement prodigieux de Paris, avec sa force matérielle et intellectuelle ; la langue du pays, « si merveilleuse dans la naïveté populaire de ses tours, si didactique dans l’expression de la pensée, si abstraite et si claire à la fois, si ingénieuse et si mesurée, enfin si triomphante qu’elle a fait au dehors plus de conquêtes que nos armées. » La centralisation a d’autres agents encore, la presse, l’instruction primaire, le culte, l’armée, la Légion d’honneur, le budget, le grand-livre, la Cour de cassation, les conseils généraux et les chambres, les routes, les bateaux à vapeur, les télégraphes, les chemins de fer. Le besoin de la centralisation est si impérieux que les révolutions n’y font rien. « Par la seule agrégation de son territoire, sa position géographique, la facilité de ses communications, son humeur si sociable, son génie si expansif, ses soldats du Nord et du Midi qui se fusionnent en deux veillées de camp, sa propagande écrite et parlée qui a les sons et l’éclat de la foudre, l’universalité populaire de sa langue, ses écoles, ses codes, ses institutions, ses précédents révolutionnaires, son administration intense, son gouvernement unitaire, son amour inné de l’égalité, de l’indépendance nationale et de la gloire, son Paris et son nom même, la France est l’État le plus vigoureusement centralisé de l’Europe. »

Est-ce à dire que, parce que la centralisation a de grands avantages, elle n’ait pas d’inconvénients ?

« On a soutenu qu’elle sacrifiait trop le reste du pays à la capitale ; qu’elle retirait trop la vie des membres pour la loger dans le cœur ; qu’elle forçait trop le rendement en hommes et en argent ; qu’elle multipliait trop les rouages, les employés, les détails, les paperasses. » On a ajouté que les communes devaient être émancipées, que si les administrateurs locaux étaient ignorants, c’était parce qu’on ne leur laissait rien à concevoir ni à faire, ou on ne leur laissait rien à apprendre. On s’est même pris de regret pour certaines institutions provinciales, comme si ces institutions ne tenaient pas à des conditions sociales dans lesquelles personne aujourd’hui ne voudrait se replacer.

« Il y a des conséquences qui s’enchaînent. Qui divise sa force la perd ; qui veut de la liberté veut de l’ordre ; qui veut un peuple moral veut un peuple réglé ; qui veut un peuple réglé veut un gouvernement fort ; qui veut un gouvernement fort veut un gouvernement central. Avant la liberté des communes, la liberté des citoyens ; avant la liberté des citoyens, l’indépendance du pays.

« La centralisation n’engendre pas partout et sous tous les gouvernements, tant s’en faut, la liberté ; mais elle produit, même sous les despotes, l’égalité, ce besoin des peuples où chaque homme est en grande estime auprès de soi-même, ce besoin excellemment français. »

« Sans la centralisation, comment relier le Midi au Nord, lorsque tout diffère entre ces deux pôles, soleil, climat, terroir, mœurs, esprit, patois, intérêts, commerce, productions ? Comment établir la péréquation cadastrale, l’uniformité des poids et mesures, l’enseignement de la langue nationale ? Comment salarier, et sans salaire, comment faire marcher d’un même pas l’armée, le clergé, l’administration, la magistrature, creuser des ports, équiper des flottes, construire des forteresses, ouvrir des canaux, sillonner la France de chemins de fer ? Sans la centralisation, qui porterait la haute main entre deux communes, entre deux départements, entre les ports de mer et les plaines de blé, entre l’agriculture et le commerce ? La force d’inertie, qui est celle des campagnes, ne paralyserait-elle pas l’action du Gouvernement ? »

C’est grâce à la centralisation que les routes, dans la traversée des départements, s’entre-croisent, se rejoignent et suivent les lignes les plus droites, les plus populeuses que les grandes villes ne grèvent pas leur avenir par des emprunts ruineux, « et encore les laisse-t-on trop souvent s’obérer et commettre des extravagances dont l’acquit retombe sur l’octroi. » C’est grâce à elle que nous avons eu l’uniformité de l’impôt, l’admissibilité de tous aux emplois, la communauté des codes, des juridictions et des peines, la libre circulation des personnes et des denrées, l’abolition