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ADMINISTRATION, 15-21.

s’élèvent entre des intérêts privés. Cette distinction se remarque encore lorsque l’administration paraît s’occuper d’intérêts privés, ou la justice d’intérêts publics : dans le premier cas, le particulier se trouve en rapport ou en collision avec le bien public, ou il faut lui appliquer des prescriptions législatives, obligatoires pour tous les citoyens ; dans le second, l’État n’est qu’une personne civile défendant ses intérêts privés. (Voy. Personne civile.)

Par leur forme de procéder, enfin, qui est solennelle, en général d’une lenteur calculée, pour la justice, simple et souvent rapide pour l’administration.

15. D’un autre côté, on comprendra que, dans une société où tout se tient, il existe nécessairement des points de contact, des rapports assez nombreux entre deux autorités, dont chacune remplit des fonctions particulières.

Ainsi, l’administration comparaît devant la justice pour représenter les propriétés de l’État ou des grands établissements publics ; elle pourvoit aux dépenses occasionnées par les tribunaux ; elle concourt à l’exécution des jugements ; elle nomme et surveille les officiers ministériels.

Les tribunaux, de leur côté, appliquent les règlements portés par l’administration ; ils reçoivent les déclarations, les serments de quelques-uns de ses agents dont les procès-verbaux font foi en justice ; ils statuent sur le domaine de l’État et l’enregistrement, et souvent sur les contraventions douanières et les contributions indirectes.

Sect. 4. — Conflits.

16. Toutefois, quelque bien définies que soient en apparence les attributions respectives de l’administration et des tribunaux, leurs ressorts se touchent et s’enchevêtrent assez pour qu’il soit quelquefois difficile de les distinguer. Il arrive alors de deux choses l’une : ou chacune de ces deux autorités se croit compétente, ou toutes les deux se déclarent incompétentes. Dans le premier cas, il y a conflit positif ; dans le second, conflit négatif.

La question de savoir à qui il appartient, dans un État monarchique, de prononcer sur les conflits était d’une solution si facile, qu’elle fut résolue par la loi du 7-14 octobre 1790, dès le premier conflit d’attributions qui s’éleva après la séparation des pouvoirs. En effet, le roi ou l’empereur est le chef de l’administration comme de la justice ; c’est donc à lui à décider entre elles, et il faisait préparer la décision par le Conseil d’État.

17. Outre cette raison qui, jusqu’à un certain point, pourrait être considérée comme de pure forme, il y en a d’autres plus profondes. Permettre aux tribunaux de passer outre, c’était entraver, quelquefois annuler, l’action de l’administration. Il en serait résulté que l’autorité chargée des intérêts les plus précieux de la nation et dont les fonctions sont essentiellement responsables et mobiles, eût été dominée par une autorité irresponsable et aussi invariable que possible. Par contre, cette irresponsabilité de ses représentants devait empêcher la justice de tomber sous la dépendance de l’administration. La justice garde en outre son indépendance vis-à-vis de l’administration, en n’appliquant que les règlements pris conformément aux lois. (Code pénal, art. 471, n° 10, « règlements légalement faits ».) Les tribunaux ne peuvent pas annuler les règlements illégaux, mais ils ne doivent pas condamner les citoyens qui les ont transgressés. (Voy. Acte administratif.)

18. Sous la République de 1848 et sous celle du 4 septembre 1870, les conflits ont été et sont jugés par une commission composée par moitié de membres de la Cour de cassation et de membres du Conseil d’État, c’est-à-dire par les représentants des corps administratifs et judiciaires. (Voy. Conflits.)

Sect. 5. — Du contentieux.

19. Il est évident que les conflits entre les autorités administratives et judiciaires, dont nous venons de parler, ne sauraient avoir lieu qu’à l’occasion d’intérêts privés. En effet, la société se composant d’individus, et l’administration étant appelée à prescrire des mesures d’intérêt général, elle doit se trouver plus d’une fois dans le cas de froisser des intérêts privés. Il arrivera même assez souvent qu’un acte administratif lésera certains droits privés régulièrement établis, de sorte que le particulier sera fondé à ouvrir une action judiciaire. Qui jugera ?

20. Il faut distinguer. Le particulier peut élever une réclamation en faveur de ses intérêts lésés, ou une contestation relativement à des droits méconnus. Dans le premier cas, il n’a d’autre moyen que de s’adresser à l’autorité administrative supérieure, par la voie dite gracieuse. Il fait un appel au pouvoir discrétionnaire de l’administration, la priant de trouver une transaction équitable entre des intérêts généraux et des intérêts privés également confiés à sa sollicitude.

Dans le second cas, lorsqu’il prétend qu’on a porté atteinte à ses droits, la voie gracieuse paraît insuffisante. Il nous répugne, en effet, d’admettre que la reconnaissance d’un droit doive dépendre du bon vouloir d’un fonctionnaire, même juste. La raison publique demande un tribunal pour juger ce qu’on appelle le contentieux administratif.

21. Le contentieux administratif a toujours été considéré comme la partie la plus ardue de la science et de la pratique administrative. Pour en établir la nature, nous ne saurions mieux faire que de citer le passage suivant d’un homme très-compétent en ces matières[1] :

« Le contentieux administratif se compose de toutes les réclamations fondées sur la violation des obligations imposées à l’administration par les lois et règlements qui la régissent, ou par les contrats qu’elle souscrit ; ainsi, toute loi qui établit une compétence, qui trace une forme d’instruction, ou qui pose une règle de décision, peut donner ouverture à un débat contentieux, s’il est allégué que la compétence soit intervertie, la forme inobservée, ou la règle enfreinte. Tout contrat passé par l’administration a le même effet, si le sens ou l’exécution en sont contestés.

  1. Vivien, Études administratives, t. Ier, p. 125.