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BREVET D’INVENTION, 8-10.

assemblée, un projet de résolution tendant à bouleverser l’économie de la loi du 25 mai 1791, et notamment à supprimer le principe de non-examen préalable. Or, après une enquête approfondie, cette même commission, et par l’organe du même rapporteur, rétracta (le 12 fruct. an VI) le premier rapport et demanda la confirmation des principes en vigueur.

Un arrêté du Directoire, du 17 vendémiaire an VII (8 oct. 1798), ordonne la publication de plusieurs brevets expirés.

Un arrêté des Consuls, du 5 vendémiaire an IX (27 sept. 1800), charge le ministre de l’intérieur de la signature des brevets.

Le décret du 25 novembre 1806, daté de Berlin, abroge l’art. 14 du titre 2 de la loi du 25 mai 1791 en ce qui concerne l’exploitation des brevets par actions.

Le décret du 25 janvier 1807, daté de Varsovie, fixe l’époque à laquelle commencent à courir les années de jouissance des diverses espèces de brevets.

Toute cette législation antérieure a été résumée et quelquefois profondément modifiée par la loi du 5 juillet 1844 actuellement en vigueur. Nous allons en faire connaître l’esprit et les principales dispositions dans les chapitres qui suivent.

chap. ii. — nature du brevet d’invention.

8. C’est par erreur qu’on a défini le brevet d’invention « un acte de l’autorité administrative qui confère à l’inventeur le droit exclusif d’exploiter… sa découverte ou son invention. » Par lui-même le brevet ne confère aucun droit, un tel pouvoir n’appartient qu’à la loi[1]. Le brevet n’est qu’un acte par lequel l’administration constate qu’elle a enregistré la déclaration de l’inventeur ou du prétendu inventeur de vouloir jouir du droit exclusif temporaire qu’il tient de la loi, et qu’elle a reçu le dépôt de la description et des dessins, ainsi que le montant des taxes qu’il doit fournir ou acquitter. Mais l’administration ne se propose nullement de certifier la réalité ni le mérite de l’invention et encore moins d’en garantir le succès. Elle se trouvera même quelquefois dans le cas de délivrer un brevet tout en le sachant entaché de nullité. Cette proposition découle du principe de non-examen qui domine la législation des brevets d’invention en France, principe qui, par cette raison, mérite que nous nous y arrêtions un instant.

Sect 1. — Du non-examen préalable.

9. La question de l’examen ou du non-examen préalable des brevets a été si souvent discutée qu’il suffit de lire les procès-verbaux de nos assemblées délibérantes pour trouver les arguments les plus spécieux ou les plus concluants en faveur de l’une ou l’autre opinion.

Une première réfutation de la doctrine de l’examen préalable est due à M. de Boufflers, le rapporteur de la loi du 7 janvier 1791. Dans sa réponse aux objections élevées contre cette loi, il dit relativement au principe de non-examen : « Cette loi, dit-on, est dangereuse par sa facilité. Où donc est le danger ? Est-ce que les plus grandes inepties seraient admises sans examen ? Oui ; mais aussi elles seraient rejetées sans scrupule, et alors elles tourneraient au détriment de leur auteur. Mais, dira-t-on, pourquoi jamais de contradicteur ? Mais, dirai-je à mon tour, pourquoi toujours des contradicteurs ? Le contradicteur que vous me demandez est absolument contraire à l’esprit de la loi : l’esprit de la loi est d’abandonner l’homme à son propre examen, et de ne point appeler le jugement d’autrui sur ce qui pourrait bien être impossible à juger. Souvent ce qui est inventé est seulement conçu et n’est point encore né ; laissez-le naître, laissez-le paraître, et puis vous jugerez. Vous voulez un contradicteur, je vous en offre deux, dont l’un est plus éclairé que vous ne pensez, et l’autre est infaillible, l’intérêt et l’expérience. — Me direz-vous que la loi ne doit rien faire qu’après un examen approfondi ? Cela est vrai pour les récompenses et les punitions qu’elle assigne à tel ou tel individu, mais non point pour la protection qu’elle accorde indistinctement à tous les êtres qui la réclament… Me demandez-vous ce qui prouve à la loi que cet homme dit la vérité ? Je vous réponds que la loi le présume et qu’elle attend qu’on lui prouve le contraire. — Enfin, quels étaient donc ces contradicteurs si regrettés[2] ? et qu’est-ce, en effet, que des censeurs en pareille occasion ? C’est un tribunal qui juge des choses qui n’existent point encore, et qui, à son gré, leur permet ou leur défend de naître ; un tribunal qui craint d’être responsable lorsqu’il autorise, et qui ne risque rien lorsqu’il proscrit ; un tribunal qui n’entend que lui-même, qui procède sans contradiction, et qui prononce sans appel dans des causes inconnues où l’expérience serait la seule procédure convenable et où le public est le seul juge compétent. Et à quels hommes osait-on confier une aussi étonnante magistrature à exercer dans le domaine de la pensée ? Les mieux choisis sans doute étaient les plus savants ; mais les savants eux-mêmes ne sont-ils pas quelquefois accusés d’être parties au procès ? Ont-ils toujours été justes envers les inventeurs ? Convenons-en, l’étude a peine à croire à l’inspiration, et les hommes accoutumés à tracer les chemins qui mènent à toutes les connaissances, supposent difficilement qu’on puisse y être arrivé à vol d’oiseau. »

10. Quelques années après, le principe du non-examen fut de nouveau mis en discussion. « Rien n’est plus mal conçu, disait alors[3] Eude dans un rapport au conseil des Cinq-Cents au nom d’une commission spéciale, que le système de faire délivrer le brevet sur le simple exposé de celui qui se prétend inventeur ; il peut en résulter une très-grande distribution de brevets illégitimes, également nuisibles au commerce et aux droits de ceux qui en ont justement. Il est donc essentiel que la concession n’en soit faite qu’à la suite d’un mûr examen et avec une très-grande connaissance de cause ; la saine raison le veut et l’intérêt des véritables inventeurs l’exige. Le moyen d’obtenir ce résultat est de soumettre les demandes de ce genre à un jury spécial. »

  1. Le titre, dit M. Bethmont, ne fait pas le droit : il ne fait que le constater, que donner une protection plus efficace ; le droit a commencé dès que le dépôt a été fait. (Chambre des députés, séance du 12 avril 1844.)
  2. Le passage qui suit ne se retrouve pas dans le discours inséré dans le 1er volume de la Collection des brevets d’invention ; nous l’empruntons à l’ouvrage de M. Renouard.
  3. 14 pluviôse an VI. La commission était composée de Hardy, Cabanis, Andrieux, Bonnaire et Eude, rapporteur.