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ASSISTANCE PUBLIQUE, 8-13.

core, le patrimoine des pauvres. Et lorsqu’après le rétablissement de la paix, il fallut secourir toutes les misères nées de nos discordes civiles, saint Vincent de Paul, associant à l’action des pouvoirs publics toutes les forces du dévouement religieux, contribua puissamment à maintenir le caractère libre et chrétien que l’assistance a toujours gardé dans notre pays, excepté pendant la crise révolutionnaire.

8. En adoptant, le 2 novembre 1789, la proposition de Mirabeau, l’Assemblée constituante déclara « que tous les biens ecclésiastiques seraient à la disposition de la nation, à la charge de pourvoir d’une manière convenable aux frais du culte, à l’entretien de ses ministres et au soulagement des pauvres. C’est pour acquitter cette dernière obligation que la constitution de 1791 ordonna qu’il serait « créé et organisé un établissement général de secours publics » ; et que la constitution de 1793 déclara que « les secours publics étaient une dette sacrée ». La Convention, mettant le soulagement des pauvres à la charge de l’État, essaya d’organiser l’assistance par le décret du 19 mars 1793, qui règle la répartition des secours publics et ordonne la vente des biens des hôpitaux, fondations et dotations charitables. Par le décret du 24 vendémiaire an II (15 octobre 1793), relatif à l’extinction de la mendicité, la Convention interdit aux citoyens, sous peine d’amende, « toutes distributions de pain ou d’argent » aux indigents, qui devront être assistés par des agences cantonales de secours. Enfin le décret du 22 floréal an II (11 mai 1794) ordonna la formation d’un livre de la bienfaisance nationale où seraient inscrits les indigents de toutes catégories, pour recevoir des pensions variant de 80 à 160 livres. « Plus d’aumônes, plus d’hôpitaux ! s’écriait Barrère, rapporteur du comité du salut public, ces deux mots doivent être effacés du vocabulaire républicain. » À l’ordre ancien de la charité chrétienne succédaient les vaines utopies de la philanthropie révolutionnaire.

9. L’exécution de ces lois fut bientôt reconnue impossible. Mais les associations religieuses avaient été dispersées, les biens des hôpitaux vendus ; les établissements charitables étaient tombés dans un état si fâcheux qu’en 1798 ils ne purent même payer la contribution foncière du peu de biens qu’on leur avait rendus. (Circ. Int. 1er pluviôse an VII.) De toute cette législation, dont la trace n’est marquée dans l’histoire que par des ruines, il n’est resté que quelques dispositions du décret du 24 vendémiaire an II, relatives au domicile de secours, qui est l’objet d’un article spécial.

10. Le Corps législatif, revenant à des idées plus pratiques, rendit aux établissements hospitaliers leurs biens non aliénés, pour reconstituer leur dotation, et institua, par la loi du 7 frimaire an V, les bureaux de bienfaisance, en les chargeant de la distribution des secours publics à domicile et de la direction des travaux de charité. La loi du 20 ventôse an V et l’arrêté des consuls du 27 prairial an IX prescrivirent la remise aux hospices et aux bureaux de bienfaisance des biens non vendus de toutes les anciennes fondations charitables affectées au service des malades et des pauvres. Les congrégations hospitalières des femmes furent rétablies par le décret du 18 février 1809. Celle des Filles de Saint-Vincent-de-Paul avait déjà obtenu du gouvernement consulaire (Arr. 24 vendémiaire an XI) le droit de se vouer, comme par le passé, au soulagement des pauvres.

CHAP. III. — ORGANISATION ACTUELLE DE L’ASSISTANCE PUBLIQUE.

11. « La législation charitable en France est dominée actuellement par ce principe que, si la société a le devoir moral de ne laisser aucune souffrance réelle sans soulagement, l’assistance ne peut jamais être réclamée comme un droit par l’indigent. L’assistance ne constitue donc pas, et c’est un honneur pour notre pays, une dépense obligatoire de l’État et des communes[1]. »

12. Comme conséquence de ce principe général, la législation française laisse la plus grande liberté aux œuvres de charité privée qui peuvent, sous toutes les formes, secourir les diverses catégories d’indigents. Lorsque ces œuvres, arrivant à l’état d’institutions, veulent assurer leur stabilité, elles obtiennent les priviléges de la vie civile moyennant des conditions faciles à remplir. La charité publique n’a donc, en France, aucun monopole, pas même celui des quêtes et souscriptions publiques. La jurisprudence administrative permet aux établissements religieux (évêchés, cures, fabriques, consistoires, conseils presbytéraux. congrégations charitables) de recevoir des dons et legs pour le soulagement des pauvres. (Avis du C. 6 mars 1873.) Les œuvres de charité, qui ne jouissent pas de l’existence civile, peuvent aussi profiter des libéralités faites en leur faveur au moyen d’un décret qui autorise le maire, au nom des indigents assistés par ces œuvres, à accepter ces libéralités à la charge d’en remettre le montant auxdites œuvres par application de l’ordonnance royale du 2 avril 1817[2].

13. Dans notre organisation administrative actuelle, les deux principaux services de l’assistance publique (hôpitaux et hospices, et bureaux de bienfaisance) ont chacun leur administration séparée, sauf à Paris où ces deux services sont réunis (voy. Paris). Dans les autres communes, ils sont dirigés par des commissions distinctes, dont la composition et l’organisation ont été réglées par la loi du 21 mai 1873. « La loi nouvelle a appelé à siéger à côté du maire, président-né de chaque commission, le curé et les représentants des autres cultes reconnus par l’État. Elle a ainsi assuré aux ministres de la religion la place qui leur appartient dans les conseils de la charité publique. Leur présence a déjà eu pour effet de faire tomber d’injustes défiances, de dissiper des préventions sans fondement ; elle permettra de compléter et de contrôler les listes d’indigents, de prévenir les abus et les doubles emplois et d’écarter les pauvres qui, faute de cette entente si désirable, vivaient impunément des secours de l’assistance

  1. Rapport de l’inspection générale des Établissements de bienfaisance, au sujet de l’enquête sur les bureaux de bienfaisance. Imprimerie nationale, 1874.
  2. Le patrimoine des pauvres, presque entièrement dissipé par la Révolution, se reconstitue peu à peu : de 1814 à 1868, la statistique générale des dons et legs autorisés, par ordonnances, décrets ou arrêtés préfectoraux, en faveur des hospices et bureaux de bienfaisance, présente une somme totale de trois cent millions de francs environ. (Note de l’auteur.)