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APPEL COMME D’ABUS, 21-28.

« S’il s’agissait, dit M. de Cormenin (art. 25, vo. Appel comme d’abus), de la plainte d’un curé ou d’un évêque contre un maire, un préfet ou toute autre autorité civile ou militaire qui aurait troublé l’exercice public du culte ou empiété sur les matières spirituelles, il pourrait y avoir lieu à une simple déclaration d’abus ; mais la plainte se résoudrait, soit en un renvoi devant les tribunaux, s’il y avait eu crime ou délit commis envers le prêtre, soit par un blâme, déplacement, destitution, ou toute autre mesure que le Gouvernement averti pourrait prendre envers le fonctionnaire, soit par l’annulation de son arrêté. »

Ainsi, en 1803, l’arrêté du préfet de la Loire, qui avait défendu à plusieurs ecclésiastiques l’exercice de la prédication, fut annulé.

21. Le cardinal Caprara, légat du Saint-Siége, s’est pourvu, en vertu de cet art. 7, contre une lettre dogmatique d’un magistrat de sûreté qui avait décidé diverses questions sur les obsèques religieuses.

22. Deux ordonnances des 26 décembre 1830 et 30 août 1832 n’ont admis ni le recours comme d’abus ni la demande d’un ancien desservant révoqué en autorisation de poursuivre soit correctionnellement, soit à fins civiles, l’adjoint de la commune d’Angerville-Lorcher (Seine-Inférieure) pour l’avoir expulsé du presbytère que cet ecclésiastique n’avait plus le droit d’occuper.

23. En 1841, le curé de Saint-Bénigne à Dijon (Côte-d’Or) a formé, en vertu du même article, un recours au Conseil d’État contre l’arrêté du maire de cette ville qui avait interdit la sortie des processions. Son recours fut rejeté par ordonnance du 1er  mars 1842.

CHAP. III. — MODE DE PROCÉDER, COMPÉTENCE DES AUTORITÉS.

24. L’art. 8 de la loi du 18 germinal an X a pour objet de déterminer le mode de procéder et d’instruire les affaires de cette nature ; il est ainsi conçu :

« Le recours compétera à toute personne intéressée. À défaut de plainte particulière, il sera exercé d’office par le préfet. Le fonctionnaire public, l’ecclésiastique ou la personne qui voudra exercer ce recours, adressera un mémoire détaillé et signé au conseiller d’État chargé de toutes les affaires concernant les cultes (actuellement le ministre des cultes), lequel sera tenu de prendre dans le plus court délai tous les renseignements convenables ; et, sur son rapport, l’affaire sera suivie et définitivement terminée dans la forme administrative, ou renvoyée, selon l’exigence des cas, aux autorités compétentes. »

25. Il nous a paru utile de reproduire ici les motifs de cet art. 8 tels qu’ils ont été exposés par M. Portalis :

« On voit que la forme de procéder est purement administrative ; rien de plus sage. Les matières religieuses intéressent essentiellement l’ordre public. Elles sont une partie importante de la police administrative de l’État. Elles sont rarement susceptibles d’une discussion contentieuse. En administration, les affaires sont traitées discrètement. Devant les tribunaux, elles reçoivent nécessairement une publicité qui souvent, en matière religieuse, pourrait compromettre la tranquillité ; presque toujours cette publicité serait fatale à la religion même. Dans les causes ecclésiastiques, il est des convenances à consulter et des moments à saisir pour juger raisonnablement ces causes ; il faut souvent peser les temps et les lieux ; il faut pouvoir user d’indulgence ou de sévérité selon les circonstances. Rien n’est si délicat que la direction des choses qui tiennent à la conscience ou à l’opinion. Le Gouvernement doit naturellement avoir dans ses mains tout ce qui peut influer sur l’esprit public ; il ne doit pas abandonner aux autorités locales des objets sur lesquels il importe qu’il y ait unité de conduite et de principe. »

26. Malgré ces observations si judicieuses, le décret du 25 mars 1813 disposa plus tard (art. 5 et 6) que les appels comme d’abus seraient portés devant les cours impériales et qu’un projet de loi serait préparé pour régler les formes de la procédure et les pénalités. Non-seulement ce projet de loi n’a pas été présenté au Corps législatif, mais encore l’ordonnance royale du 29 juin 1814 a formellement rendu au Conseil d’État la connaissance des appels comme d’abus. Cependant l’ordonnance du 23 août 1815 ayant rapporté celle de 1814 en réorganisant le Conseil d’État sans faire aucune mention de ces appels, quelques doutes se sont élevés sur le point de savoir si le décret du 25 mars 1813 était encore en vigueur. Par arrêt du 2 février 1828, la cour de Nancy s’était même reconnue compétente pour statuer sur les appels comme d’abus ; mais son arrêt fut annulé par la Cour de cassation le 28 mars 1828. À partir de cette époque, il a été constamment décidé que la loi du 18 germinal an X devait seule être exécutée.

Cette question, déjà résolue par la jurisprudence, ne peut plus d’ailleurs être soulevée depuis que les ordonnances des 12 mars 1831 (art. 5) et 18 septembre 1839 (art. 17), le règlement intérieur du Conseil d’État, en date du 26 mai 1849, et les décrets des 30 janvier 1852 (art. 13) et 21 août 1872 (art. 5) ont expressément maintenu les appels et recours comme d’abus parmi les attributions du Conseil d’État.

La compétence exclusive de ce Conseil est actuellement incontestable.

27. Dans tous les cas, le recours doit être adressé d’abord au ministre des cultes, avec un mémoire à l’appui, afin qu’il procède à l’instruction de l’affaire. Cette instruction consiste ordinairement à demander la déclaration par écrit du prêtre attaqué sur les faits qui lui sont reprochés, les observations de l’évêque diocésain et l’avis du préfet. Après avoir réuni tous les renseignements nécessaires, le ministre transmet au Conseil d’État son rapport ainsi que le dossier. Le Conseil d’État prononce ensuite sur le recours ; sa décision n’est publiée qu’après avoir été approuvée par le Chef du Gouvernement sous la forme d’un décret ou d’une ordonnance. Enfin le ministre des cultes envoie deux ampliations du décret, l’une à l’évêque diocésain, et l’autre au préfet, qui est chargé de la faire remettre au plaignant.

28. Les appels comme d’abus ne sont pas classés parmi les affaires contentieuses (O. 12 mars 1831, art. 5) ; par conséquent, il n’y a ni audience publique, ni plaidoiries, ni condamnation aux dépens.