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APPEL COMME D’ABUS, 3-11.

jusqu’à ce jour dans la pratique. Ils ont même été insérés dans l’art. 5 du décret du 25 mars 1813, dans les ordonnances des 29 juin 1814, 12 mars 1831 et 18 septembre 1839. C’est uniquement pour suivre la coutume générale que nous les avons maintenus dans ce dictionnaire. Mais si l’on considère que l’appel est ordinairement interjeté dans le but de faire réformer le jugement d’un tribunal ou la décision d’une autorité devant la juridiction supérieure qui a le droit de statuer sur le fond, et que, d’après la loi du 18 germinal an X, un abus, imputé à un ecclésiastique dans l’exercice du culte, peut être, sans aucune décision préalable, déféré directement au Conseil d’État, on reconnaîtra que le pourvoi du plaignant n’est pas réellement un appel ; qu’il a seulement les caractères d’un recours à la puissance temporelle. Dans les trois décrets des 26 mai 1849 (art. 9), 30 janvier 1852 (art. 13), 21 août 1872 (art. 5), portant règlement intérieur du Conseil d’État, on a employé avec raison les mots : recours pour abus.

sommaire.

chap. i. des appels comme d’abus sous l’ancienne législation, 3 à 12.
chap.ii. législation actuelle sur les appels comme d’abus, 13 à 23.
chap.iii. mode de protéger, compétence des autorités, 24 à 34.
chap.iv. jurisprudence. faits considérés comme abus, 35 à 73.
chap.v. des appels comme d’abus en ce qui concerne les cultes non catholiques, 74 à 81.


CHAP. 1. — DES APPELS COMME D’ABUS SOUS L’ANCIENNE LÉGISLATION.

3. Quelques écrivains ont attribué à Pierre de Cugnières, avocat général au Parlement de Paris, l’invention des appels comme d’abus ; cette opinion est contestée. Ce qu’il y a de certain, c’est que dans une célèbre conférence tenue en 1329, au château de Vincennes, sous la présidence du roi Philippe de Valois et en présence de Pierre du Royer, archevêque de Sens, et de Pierre Bertrandi, évêque d’Autun, qui parlèrent pour le clergé, ce magistrat se plaignit vivement des empiétements des juges ecclésiastiques sur la juridiction temporelle, articula 66 griefs, et provoqua des mesures de répression ; la conférence se termina sans qu’aucune décision eût été prise ; toutefois elle eut pour effet d’émouvoir fortement l’opinion publique et d’attirer l’attention de l’autorité civile sur les abus signalés. Dès ce moment, les parlements résolurent de restreindre les juges ecclésiastiques dans les limites de leurs attributions. On cite, dans le xive siècle, un arrêt du 13 mars 1376 rendu contre l’évêque de Beauvais et ses officiers pour abus faits au préjudice de la juridiction temporelle. Pendant le xve siècle, le parlement de Paris statua sur plusieurs appels d’abus, notamment les 7 juin 1404 et 16 juin 1449. Dans l’affaire jugée en 1449, l’avocat du roi Barbin posa en maxime qu’on pouvait appeler comme d’abus de la juridiction ecclésiastique à la séculière. (Voy. Dupuy, chap. 7, no 28.)

4. Ainsi, ces appels étaient déjà usités lorsque parut l’édit de François Ier, daté de Villers-Cotterets, du mois d’août 1539. En constatant leur existence antérieure, il contient les premières dispositions légales sur la matière.

5. Plus tard, l’édit de Charles IX, du 16 avril 1571 (art. 5 et 6), l’ordonnance, dite de Blois, signée par Henri III au mois de mai 1579 (art. 59), l’édit de Melun, du même prince, en date du mois de février 1580 (art. 1er), l’édit de Henri IV, du mois de décembre 1606 (art. 2), l’édit de Louis XIII, du mois de septembre 1610 (art. 3), la déclaration de Louis XIV, du mois de mars 1666 (art. 15, 16 et 17), et l’édit de ce roi, du mois d’avril 1695 (art. 34, 35, 36 et 37), fixèrent les règles, les formes et les effets des appels comme d’abus.

6. Sous l’ancien régime, il y avait quatre sources ou causes principales de ces appels : 1o l’attentat contre les saints décrets et canons reçus dans le royaume ; 2o la contravention aux droits, franchises, libertés et priviléges de l’Église gallicane ; 3o la transgression des concordats, ordonnances, édits et déclarations du roi ; 4o l’entreprise sur la juridiction temporelle ou ecclésiastique ; car le droit d’appel comme d’abus était réciproque et pouvait être exercé par les ecclésiastiques, par les laïques, par les juges d’église et par les magistrats civils.

7. On considérait ces appels comme étant d’intérêt public ; aucune fin de non-recevoir, aucune prescription ne pouvaient y être opposées. (Arr. 18 juin 1646 et 26 janvier 1690.) Le procureur général était toujours la partie principale ; les autres parties intéressées n’avaient pas la faculté de transiger sans son consentement. (Arr. 12 juillet 1601 et 25 juillet 1632.)

8. Lorsque ces appels étaient formés par des ecclésiastiques contre des ordonnances et jugements rendus par les évêques et juges d’église en matière religieuse ou disciplinaire, et contre les règlements des prélats faits dans le cours de leurs visites pastorales, ils n’avaient pas d’effet suspensif, mais seulement dévolutif. (Édit de 1539, art. 5 ; édit de 1695, art. 36.) S’ils étaient interjetés par le procureur général, ils étaient suspensifs, même en matière disciplinaire, parce que le ministère public agissait, au nom du roi, dans un but d’intérêt général. (Arr. 4 juin 1704.)

9. Les abus dénoncés devaient être évidents et notoires, d’après les principes établis par la jurisprudence ; on ne les observa pas toujours dans la pratique. Les appels se multiplièrent beaucoup durant les xvie et xviie siècles. Pour en diminuer le nombre, les rois décidèrent que les parties téméraires qui succomberaient, seraient condamnées à une amende dont le chiffre a varié, mais qui fut fixée, par l’art. 37 de l’édit de 1695, à 75 livres.

10. Les parlements pouvaient seuls connaître des appels comme d’abus. C’était à la grand’chambre, formée de conseillers clercs ou ecclésiastiques en nombre égal aux conseillers laïques, qui présentait ainsi par sa composition les garanties désirables, que ces appels devaient être soumis.

11. En prononçant sur les affaires, les parlements n’en examinaient pas le fond, pour confirmer ou infirmer la sentence qui leur était déférée ; ils examinaient seulement la forme ou la procédure, pour juger si elle était, ou non, abusive. Lorsqu’ils déclaraient qu’il n’y avait pas d’abus, ils condamnaient les appelants à l’amende ; lorsqu’ils