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ALIÉNÉ, 6-17.

nacer la descendance et les proches de celui qui en est atteint.

D’ailleurs, le seul mot d’interdiction, les assignations en justice, l’interrogatoire en la chambre du conseil du tribunal, les débats à l’audience peuvent, en jetant le malade hors de lui-même, transformer en une folie incurable les premières atteintes d’un mal qu’un traitement habile aurait au contraire étouffé dans le germe.

On comprend, d’un autre côté, avec quelle réserve les magistrats du ministère public doivent exercer leur intervention dans une matière qui touche de si près aux secrets de la vie privée, aux plus chers intérêts et à l’honneur des familles.

6. Aussi, pour toutes ces causes, il s’en fallait de beaucoup que l’interdiction de tous les aliénés fût provoquée. En 1837, sur 613 malades traités à l’hospice de Bicêtre, 19 seulement étaient interdits.

7. Dans le cas où l’interdiction n’avait pas été prononcée, l’administration pouvait-elle prendre à l’égard de la personne des aliénés les mesures exigées par la sécurité publique ? Elle s’y croyait autorisée avec juste raison par ses pouvoirs généraux, par la loi des 16-26 mars 1790 et par l’art. 3 du titre XI de la loi des 16-24 août 1790. Dans plusieurs départements, les préfets, s’appuyant sur ces dispositions, avaient pris des arrêtés pour autoriser sous certaines conditions le placement des aliénés, même non interdits, dans les maisons de santé. Il convient de citer, en particulier, l’ordonnance du préfet de police du 9 août 1828, dont l’exécution ne souleva aucune difficulté et dont plusieurs dispositions ont mérité, par leur sagesse, de prendre place dans la loi du 30 juin 1838. Mais dans certains départements, dans celui du Nord notamment, les administrateurs doutaient de leur droit ; ils ne se croyaient le pouvoir d’autoriser la séquestration des aliénés qu’après qu’il était intervenu un jugement d’interdiction.

8. Ce n’était pas là le seul point que la législation laissât indéterminé. On ne pouvait dire, avec certitude et précision, au moyen de quelles ressources il devait être pourvu à l’entretien des aliénés indigents. Ici, l’on considérait cette dépense comme une charge des communes où les aliénés avaient acquis le domicile de secours, défini par le titre V de la loi du 24 vendémiaire an II. Là, les hospices l’acceptaient, même dans le cas où aucune fondation spéciale ne leur en avait imposé l’obligation.

Enfin, dans quelques départements, on la considérait comme une charge départementale qui devait être acquittée sur les centimes additionnels votés par les lois annuelles de finances pour subvenir aux dépenses d’administration définies par l’art. 2 de la loi du 28 messidor an IV. (1re section du budget.)

9. Un arrêté du ministre de l’intérieur, du 6 novembre 1815, uniquement relatif aux aliénés entretenus dans les hospices de Paris, avait partagé le fardeau entre les communes, appelées en première ligne à supporter la dépense, et les départements, appelés, seulement en cas d’insuffisance des ressources de la commune, à fournir ou à compléter le prix de la pension. Cet arrêté avait été adopté comme règle par l’administration dans beaucoup de circonstances ; mais un avis du comité de l’intérieur du Conseil d’État, en date du 10 octobre 1834, conforme d’ailleurs à l’opinion que la majorité de la Chambre des députés avait manifestée, en 1832, lors de la discussion d’un projet de loi sur l’administration municipale, déclara que les communes n’étaient obligées par aucune loi à supporter la dépense des aliénés indigents.

10. D’un autre côté, un arrêté du préfet de l’Aube ayant mis l’entretien d’une aliénée, interdite pour cause de fureur, à la charge de l’hospice de Bar-sur-Aube, qu’aucun titre de fondation n’assujettissait à recevoir les aliénés, la décision ministérielle approbative de cet arrêté fut annulée, sur le pourvoi de l’hospice, par un arrêt du Conseil d’État, du 30 mai 1834.

11. La loi du 18 juillet 1836, portant fixation des dépenses de l’exercice 1837, vint assurer le service, en assimilant, pour 1837, par son art. 6, « aux dépenses variables départementales réglées par la loi du 31 juillet 1821, les dépenses pour aliénés indigents, sans préjudice du concours de la commune du domicile de l’aliéné, conformément à la base proposée par le conseil général, sur l’avis du préfet, et approuvée par le ministre de l’intérieur, sans préjudice également, s’il y avait lieu, du concours des hospices. »

12. Cette solution, répétée dans la loi du 20 juillet 1837, portant fixation du budget des dépenses de l’exercice 1838, n’était que provisoire, et une loi définitive était nécessaire, tant pour affecter des ressources permanentes à l’entretien et au traitement des aliénés indigents que pour donner, en termes clairs et incontestés, à l’autorité et aux familles, en l’entourant de sérieuses garanties, le pouvoir de placer les aliénés, même non interdits, dans les maisons de santé. Tel a été le double but de la loi du 30 juin 1838, qui est à la fois une loi de police et une loi d’assistance publique.

CHAP. II. — DISPOSITIONS DE POLICE.

13. Dans ces dispositions, le législateur a eu en vue trois objets principaux : rendre le placement des aliénés prompt et facile ; empêcher que ce placement ne servît de prétexte et de voile à des détentions arbitraires ; assurer aux aliénés, dans les maisons où ils sont retenus, un traitement humain et éclairé.

Sect. 1. — Des établissements d’aliénés.
art. 1. — établissements publics.

14. Les établissements publics sont ceux qui appartiennent à l’État, aux départements, aux communes ou aux hospices.

15. Aux garanties qu’offrait, dans l’intérêt de la liberté individuelle, la nature seule de ces asiles, le législateur ajoute la mission confiée au préfet, à ses délégués, à ceux du ministre de l’intérieur, au procureur de la République, au juge de paix et au maire, « de visiter les établissements publics, de recevoir les réclamations des personnes qui y sont placées et de prendre à leur égard tous les renseignements propres à faire connaître leur position ». (L. de 1838, art. 4.)

16. La visite du procureur de la République de l’arrondissement doit avoir lieu, au moins une fois par semestre, à des jours indéterminés. (L., art. 4, § 3.)

17. Ce n’est qu’au ministre et au préfet que la loi a donné le droit de déléguer les pouvoirs d’inspection dont ils sont investis.