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donc avec l’ardeur de celui qui se sent admiré, et il fut vite regardé comme un maître. « Il tient si bien la ligne ! », disaient les dames qui appréciaient l’élégance vigoureuse de son corps svelte et bien musclé. Lui, dans sa jaquette bombée à la poitrine et pincée à la taille, les pieds serrés dans des escarpins vernis, il dansait gravement, sans prononcer un mot, d’un air presque hiératique, tandis que les lampes électriques bleuissaient les deux ailes de sa chevelure noire et luisante. Après quoi, les femmes sollicitaient l’honneur de lui être présentées, avec la douce espérance de rendre leurs amies jalouses lorsque celles-ci les verraient au bras de l’illustre tangueur. Les invitations pleuvaient chez lui ; les salons les plus inaccessibles lui étaient ouverts ; chaque soir, il gagnait une bonne douzaine d’amitiés, et on se disputait la faveur de recevoir de lui des leçons. Le « peintre d’âmes » offrait volontiers aux plus jolies solliciteuses de les leur donner dans son atelier, de sorte que d’innombrables élèves affluaient à la rue de la Pompe.

— Tu danses trop, lui disait Argensola ; tu te rendras malade.

Ce n’était pas seulement à cause de la santé de son protecteur que le secrétaire-écuyer s’inquiétait de l’excessive fréquence de ces visites ; il les trouvait fort gênantes pour lui-même. Car, chaque après-midi, juste au moment où il se délectait dans une paisible