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des âmes, ni les amours coûteuses et les duels variés ne l’avaient mis en vedette : ce fut par les pieds qu’il triompha.

Un nouveau divertissement, le tango, venait d’être importé en France pour le plus grand bonheur des humains. Cet hiver-là, les gens se demandaient d’un air mystérieux : « Savez-vous tanguer ? » Cette danse des nègres de Cuba, introduite dans l’Amérique du Sud par les équipages des navires qui importent aux Antilles les viandes de conserve, avait conquis la faveur en quelques mois. Elle se propageait victorieusement de nation en nation, pénétrait jusque dans les cours les plus cérémonieuses, culbutait les traditions de la décence et de l’étiquette : c’était la révolution de la frivolité. Le pape lui-même, scandalisé de voir le monde chrétien s’unir sans distinction de sectes dans le commun désir d’agiter les jambes avec une frénésie aussi infatigable que celle des possédés du moyen âge, croyait devoir se convertir en maître de ballet et prenait l’initiative de recommander la furlana comme plus décente et plus gracieuse que le tango.

Or, ce tango que Jules voyait s’imposer en souverain au Tout-Paris, il le connaissait de vieille date et l’avait beaucoup pratiqué à Buenos-Aires, après sa sortie du collège, sans se douter que, lorsqu’il fréquentait les bals les plus abjects des faubourgs, il faisait ainsi l’apprentissage de la gloire. Il s’y adonna