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sable bagout. Jules se servit d’abord de lui comme de secrétaire : pour s’épargner la peine de lire les romans nouveaux, les pièces de théâtre à la mode, les ouvrages de littérature, de science ou de politique dont s’occupaient les snobs, les articles sensationnels des revues de « jeunes » et le Zarathustra de Nietzsche, il faisait lire tout cela par Argensola, qui lui en donnait de vive voix le compte rendu et qui ajoutait même au compte rendu ses propres observations, souvent fines et ingénieuses. Ainsi le « peintre d’âmes » pouvait étonner à peu de frais son père, sa mère, leurs invités et les femmes esthètes des salons qu’il fréquentait, par l’étendue de son instruction et par la subtilité ou la profondeur de ses jugements personnels.

— C’est un garçon un peu léger, disait-on dans le monde ; mais il sait tant de choses et il a tant d’esprit !

Lorsque Jules eut à peu près renoncé à peindre, sa vie devint de moins en moins édifiante. Presque toujours escorté d’Argensola qu’en la circonstance il dénommait, non plus son « secrétaire », mais son « écuyer », il passait les après-midi dans les salles d’escrime et les nuits dans les cabarets de Montmartre. Il était champion de plusieurs armes, boxait, possédait même les coups favoris des paladins qui rôdent, la nuit, le long des fortifications. L’abus du champagne le rendait querelleur ; il avait le soufflet facile et allait volontiers sur le terrain. Avec le frac