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peintre qui lui fournissait des prétextes de haute esthétique pour amener chez lui des femmes du monde enclines à s’intéresser aux jeunes artistes. Voilà pourquoi, au lieu de se fâcher contre l’Espagnol, il lui sut gré de cette malice discrète et lia même avec lui des relations plus étroites qu’auparavant.

Depuis longtemps Argensola avait renoncé pour son propre compte à manier le pinceau, et il vivait en bohème, aux crochets de quelques camarades riches qui toléraient son parasitisme à cause de son bon caractère et de la complaisance avec laquelle il rendait toute sorte de services à ses amis. Désormais Jules eut le privilège d’être le protecteur attitré d’Argensola. Celui-ci prit l’habitude de venir tous les jours à l’atelier, où il trouvait en abondance des sandwichs, des gâteaux secs, des vins fins, des liqueurs et de gros cigares. Finalement, un certain soir où, expulsé de sa chambre garnie par un propriétaire inflexible, il était sans gîte, Jules l’invita à passer la nuit sur un divan. Cette nuit-là fut suivie de beaucoup d’autres, et le rapin élut domicile à l’atelier.

Le bohème était en somme un agréable compagnon qui ne manquait ni d’esprit ni même de savoir. Pour occuper ses interminables loisirs, il lisait force livres, amassait dans sa mémoire une prodigieuse quantité de connaissances diverses, et pouvait disserter sur les sujets les plus imprévus avec un intaris-