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romance et qui s’appliquait uniquement à reproduire les formes féminines. — Il entreprit d’esquisser un tableau qu’il intitula la Danse des Heures : c’était un prétexte pour faire venir chez lui toute une série de jolis modèles. Il dessinait avec une rapidité frénétique, puis remplissait l’intérieur des contours avec des masses de couleur. Jusque-là tout allait bien. Mais ensuite il hésitait, restait les bras ballants devant la toile ; et finalement, dans l’attente d’une meilleure inspiration, il la reléguait dans un coin, tournée contre le mur. Il esquissa aussi plusieurs études de têtes féminines ; mais il ne put en achever aucune.

Ce fut en ce temps-là qu’un rapin espagnol de ses amis, nommé Argensola, lequel lui devait déjà quelques centaines de francs et projetait de lui faire bientôt un nouvel emprunt, déclara, après avoir longuement contemplé ces figures floues et pâles, aux énormes yeux ronds et au menton pointu :

— Toi, tu es un peintre d’âmes !

Jules, qui n’était pas un sot, sentit fort bien la secrète ironie de cet éloge ; mais le titre qui venait de lui être décerné ne laissa pas de lui plaire. À la rigueur, puisque les âmes n’ont ni lignes ni couleurs un peintre d’âmes n’est pas tenu de peindre, et, dans le secret de sa conscience, le « peintre d’âmes » était bien obligé de s’avouer à lui-même qu’il commençait à se dégoûter de la peinture. Ce qu’il tenait beaucoup à conserver, c’était seulement ce nom de