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avait acheté des terrains. À première vue, il semblait que ce fût une sottise d’avoir vendu les fertiles domaines de l’héritage pour acquérir des landes prussiennes qui ne produisaient qu’à force d’engrais ; mais Karl, en tant que propriétaire terrien, avait place dans le « parti agraire », dans le groupe aristocratique et conservateur par excellence. Grâce à cette combinaison, il appartenait à deux mondes opposés, quoique également puissants et honorables : à celui des grands industriels, amis de l’empereur, et à celui des junkers, des gentilshommes campagnards, fidèles gardiens de la tradition et fournisseurs d’officiers pour les armées du roi de Prusse.

L’enthousiasme que respiraient les lettres venues d’Allemagne finit par créer dans la famille de Marcel une atmosphère de curiosité un peu jalouse. Chichi fut la première qui osa dire :

— Pourquoi n’irions-nous pas aussi en Europe ?

Toutes ses amies y étaient allées, tandis qu’elle, fille de Français, n’avait pas encore vu Paris. Luisa appuya sa fille. Puisqu’ils étaient plus riches qu’Héléna, ils feraient aussi bonne figure qu’elle dans le vieux monde. Et Jules déclara gravement que, pour ses études, l’ancien continent valait beaucoup mieux que le nouveau : l’Amérique n’était pas le pays de la science.

Le père lui-même finit par se demander s’il ne ferait pas bien de revenir dans sa patrie. Après avoir été