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vie endiablée sous prétexte de se préparer à la profession d’ingénieur. D’ailleurs Chichi, très forte pour son âge, était presque une femme, et sa mère ne trouvait pas à propos de la garder plus longtemps à la campagne : avec la fortune que la jeune fille aurait, il ne fallait pas qu’elle fut élevée en paysanne.

Cependant les nouvelles les plus extraordinaires arrivaient de Berlin. Héléna écrivait à sa sœur d’interminables lettres où il n’était question que de bals, de festins, de chasses, de titres de noblesse et de hauts grades militaires : « notre frère le colonel », « notre cousin le baron », « notre oncle le conseiller intime », « notre cousin germain le conseiller vraiment intime », Toutes les extravagances de l’organisation sociale allemande, qui invente sans cesse des distinctions bizarres pour satisfaire la vanité d’un peuple divisé en castes, étaient énumérées avec délices par « la romantique ». Elle parlait même du secrétaire de son mari, secrétaire qui n’était pas le premier venu, puisqu’il avait gagné comme rédacteur dans les bureaux d’une administration publique le titre de Rechnungsrath, conseiller de calcul ! Et elle mentionnait avec fierté l’Oberpedell, c’est-à-dire le « concierge supérieur » qu’elle avait dans sa maison. Les nouvelles qu’elle donnait de ses fils n’étaient pas moins flatteuses. L’aîné était le savant de la famille : il se consacrait à la philologie et aux sciences historiques ; mais malheureusement il avait les yeux fati-