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jument bien docile, dressée exprès pour lui, et il errait de rancho en rancho[1]. Lorsqu’il arrivait, une métisse mettait vite sur le feu la bouillotte du maté, une fillette lui offrait la petite calebasse, avec la paille pour boire le liquide amer. Et parfois il restait là tout l’après-midi, immobile et muet, au milieu des gens qui le contemplaient avec une admiration mêlée de crainte.

Un soir, la jument revint sans son cavalier. Aussitôt on se mit en quête du vieillard, qui fut trouvé mort à deux lieues de la maison, sur le bord d’un chemin. Le centaure, terrassé par la congestion, avait encore au poignet cette cravache qu’il avait si souvent brandie sur les bêtes et sur les gens.

Madariaga avait déposé son testament chez un notaire espagnol de Buenos-Aires. Ce testament était si volumineux que Karl Hartrott et sa femme eurent un frisson de peur en le voyant. Quelles dispositions terribles le défunt avait-il pu prendre ? Mais la lecture des premières pages suffit à les rassurer. Madariaga, il est vrai, avait beaucoup avantagé sa fille Luisa ; mais il n’en restait pas moins une part énorme pour « la romantique » et les siens. Ce qui rendait si long l’instrument testamentaire, c’était une centaine de legs au profit d’une infinité de gens établis sur le domaine. Ces legs représentaient plus d’un million

  1. Ferme où l’on fait l’élevage. — G. H.