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il venait s’asseoir sur un tabouret à côté de la « romantique », lui faisait jouer des morceaux de musique allemande, puis, avant de se retirer, chantait lui-même, en s’accompagnant, un morceau de Wagner qui endormait tout de suite le patron dans son fauteuil.

Un soir, au dîner, Helena ne put s’empêcher d’annoncer à ses parents une découverte qu’elle venait de faire.

— Papa, dit-elle en rougissant un peu, j’ai appris quelque chose. Karl est noble : il appartient à une grande famille…

— Allons donc ! repartit Madariaga en haussant les épaules. Tous les Allemands qui viennent en Amérique sont des meurt-de-faim. S’il avait des parchemins, il ne serait pas à nos gages. A-t-il donc commis un crime dans son pays, pour être obligé de venir chez nous trimer comme il fait ?

Ni le père ni la fille n’avaient tort. Karl Hartrott était réellement fils du général von Hartrott, l’un des héros secondaires de la guerre de 1870, que l’empereur avait récompensé en l’anoblissant ; et Karl lui-même avait été officier dans l’armée allemande ; mais, n’ayant d’autres ressources que sa solde, vaniteux, libertin et indélicat, il s’était laissé aller à commettre des détournements et des faux. Par considération pour la mémoire du général, il n’avait pas été l’objet de poursuites judiciaires ; mais ses camarades