Page:Blasco-Ibáñez - Les Quatre Cavaliers de l’Apocalypse.djvu/56

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

venait dénoncer toutes les négligences, tous les manquements. Madariaga ne se lassait pas de se féliciter de cette acquisition.

— Ce Karl fait merveilleusement notre affaire, disait-il. Les Allemands sont si souples, si disciplinés  ! Et puis, ils ont si peu d’amour-propre ! À Buenos-Aires, quand ils sont commis, ils balaient le magasin, tiennent la comptabilité, s’occupent de la vente, dactylographient, font la correspondance en quatre ou cinq langues, et par-dessus le marché, le cas échéant, ils accompagnent en ville la maîtresse du patron, comme si c’était une grande dame et qu’ils fussent ses valets de pied. Tout cela, pour vingt-cinq pesos par mois. Pas possible de rivaliser contre de pareilles gens…

Mais, après ce lyrique éloge, le vieux réfléchissait une minute et ajoutait :

— Au fond, peut-être ne sont-ils pas aussi bons qu’ils le paraissent. Lorsqu’ils sourient en recevant un coup de pied au cul, peut-être se disent-ils intérieurement : « Attends que ce soit mon tour et je t’en rendrai vingt. »

Madariaga n’en introduisit pas moins Karl Hartrott, comme autrefois Marcel, dans son intérieur, mais pour une raison très différente. Marcel avait été accueilli par estime ; Karl n’entra au salon que pour donner des leçons de piano à Héléna. Aussitôt que l’employé avait terminé son travail de bureau,