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témoignait au Français. Je l’aime parce qu’il est sérieux. Il n’y a que les gens sérieux qui me plaisent.

Ni Marcel, ni sans doute Madariaga lui-même ne savaient au juste en quoi pouvait bien consister le « sérieux » que ce dernier attribuait à son homme de confiance ; mais Marcel n’en était pas moins flatté de voir que l’estanciero, agressif avec tout le monde, même avec les personnes de sa famille, abandonnait pour causer avec lui le ton rude du maître et prenait un accent quasi paternel.

La famille de Madariaga se composait de sa femme, Misiá Petrona, qu’il appelait la Chinoise, et de deux filles adultes, Luisa et Héléna, qui, revenues au domaine après avoir passé quelques années en pension, à Buenos-Aires, avaient bientôt recouvré une bonne partie de leur rusticité primitive.

Misiá Petrona se levait en pleine nuit pour surveiller le déjeuner des ouvriers, la distribution du biscuit, la préparation du café ou du maté ; elle gourmandait les servantes bavardes et paresseuses, qui s’attardaient volontiers dans les bosquets voisins de la maison ; elle exerçait à la cuisine une autorité souveraine. Mais, dès que la voix de son mari se faisait entendre, elle se recroquevillait sur elle-même dans un silence craintif et respectueux ; à table, elle le contemplait de ses yeux ronds et fixes, et lui témoignait une soumission religieuse.

Quant aux filles, le père leur avait richement