Page:Blasco-Ibáñez - Les Quatre Cavaliers de l’Apocalypse.djvu/382

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Cela fait, Marcel et Luisa, précédés par le sous-officier, s’en retournèrent silencieusement vers l’automobile, tandis que Chichi et René s’attardaient encore quelques minutes près de la tombe.

Les vieux époux, accablés, marchaient au flanc l’un de l’autre ; mais leurs pensées muettes suivaient des voies différentes.

Luisa, mue par la bonté naturelle de son cœur et par les mystiques enseignements de la charité chrétienne, se détachait peu à peu de la contemplation de sa propre douleur pour compatir à la douleur d’autrui. Elle s’imaginait voir par delà les lignes ennemies sa sœur Héléna cheminant aussi parmi des tombes, déchiffrant sur l’une d’elles le nom d’un fils chéri, et sanglotant plus désespérément encore à l’idée d’un autre fils dont elle ne connaîtrait jamais la sépulture. Partout, hélas ! les douleurs humaines étaient les mêmes, et la cruelle égalité dans la souffrance donnait à tous un droit égal au pardon.

Marcel, au contraire, en homme d’action à qui la vie a enseigné que chacun porte ici-bas la responsabilité de ses fautes, songeait à l’inévitable châtiment des criminels qui avaient ramené dans le monde la Bête apocalyptique et ouvert la carrière aux horribles cavaliers par lesquels Tchernoff se plaisait à symboliser les fléaux de la guerre. Ce châtiment, Marcel était trop âgé peut-être pour avoir la profonde satisfaction d’en être témoin ; la mort de son fils avait brusquement