Page:Blasco-Ibáñez - Les Quatre Cavaliers de l’Apocalypse.djvu/381

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

puis, en abrégé, le grade, le régiment et la compagnie.

Luisa et Chichi s’étaient agenouillées sur le sol humide et sanglotaient. Le père regardait fixement, avec une sorte de stupeur, la croix et le monceau de terre. René et le sous-officier se taisaient, la tête basse, ils avaient tous l’esprit hanté de questions sinistres, en songeant à ce cadavre que la glèbe recouvrait de son mystère. Jules était-il tombé foudroyé ? Avait-il rendu l’âme dans la sérénité de l’inconscience ? Avait-il au contraire enduré la torture du blessé qui meurt lentement de soif, de faim et de froid, et qui, dans une agonie lucide, sent la mort gagner peu à peu sa tête et son cœur ? Le coup fatal avait-il respecté la beauté de ce jeune corps, et la balle meurtrière n’y avait-elle fait qu’un trou presque imperceptible, au front, à la poitrine ? Ou le projectile avait-il horriblement ravagé ces chairs saines et mis en lambeaux cet organisme vigoureux ? Questions qui resteraient éternellement sans réponse. Jamais ceux qui l’avaient aimé n’auraient la douloureuse consolation de connaître les circonstances de sa mort.

Chichi se releva, s’en alla sans rien dire vers l’automobile, revint avec une couronne et une gerbe de fleurs. Elle suspendit la couronne à la croix, mit un bouquet au chevet de la tombe, sema à la surface du tertre les pétales des roses qu’elle effeuillait gravement, solennellement, comme si elle accomplissait un rite religieux.