Page:Blasco-Ibáñez - Les Quatre Cavaliers de l’Apocalypse.djvu/379

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il y avait aussi, reléguées un peu à l’écart, de longues, très longues fosses sans drapeaux et sans couronnes, avec une simple croix qui portait un écriteau. Elles étaient entourées d’une clôture de piquets, et la terre du monticule était blanchie par la chaux qui s’y était mélangée. On lisait sur l’écriteau des chiffres d’un effrayant laconisme : 200… 300… 400… Ces chiffres déconcertaient l’imagination qui répugnait à se représenter les files superposées des cadavres couchés par centaines dans l’énorme trou, avec leurs vêtements en lambeaux, leurs courroies rompues, leurs casques bosselés, leurs bottes terreuses : horrible masse de chairs liquéfiées par la décomposition cadavérique, et où les yeux vitreux, les bouches grimaçantes, les cœurs éteints se fondaient dans une même lange. Et pourtant, à cette idée, Marcel ne put s’empêcher d’éprouver une sorte de joie féroce : son fils était mort, mais il avait été bien vengé !

Sur les indications du guide, l’automobile avança encore un peu et prit à travers champs pour gagner un certain groupe de tombes. Sans aucun doute, c’était là que le régiment de Jules s’était battu. Les pneumatiques s’enfonçaient dans la glèbe et aplatissaient les sillons ouverts par la charrue ; car le travail de l’homme avait recommencé sur ces charniers où les labours s’étendaient à côté des fosses et où la végétation naissante annonçait le printemps prochain. Déjà les herbes et les broussailles se couvraient de