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les tirailleurs africains ; un peu plus loin, les chasseurs ; l’infanterie de ligne avait chargé des deux côtés du chemin, et toutes ces fosses étaient les siennes, L’automobile fit halte, et René descendit pour lire les inscriptions des croix.

La plupart des sépultures contenaient plusieurs morts, dont les képis ou les casques étaient accrochés aux bras de la croix, et ces effets militaires commençaient à se pourrir ou à se rouiller. Sur quelques-unes des sépultures, des couronnes, mises là par piété, noircissaient et se défaisaient. Presque partout le nombre des corps inhumés avait été indiqué par un chiffre sur le bois de la croix, et tantôt ce chiffre apparaissait nettement, tantôt il était déjà peu lisible, quelquefois il était tout à fait effacé. De tous ces hommes disparus en pleine jeunesse rien ne survivrait, pas même un nom sur un tombeau. La seule chose qui resterait d’eux, ce serait le souvenir qui, le soir, ferait soupirer quelque vieille paysanne conduisant sa vache sur un chemin de France, ou celui d’une pauvre veuve qui, à l’heure où ses petits enfants reviendraient de l’école, vêtus de blouses noires, n’aurait à leur donner qu’un morceau de pain sec et penserait au père dont ils auraient peut-être oublié déjà le visage.

— Ayez pitié d’eux. Seigneur ! continuait à murmurer Luisa. Ayez pitié de leurs mères, de leurs femmes veuves, de leurs enfants orphelins !