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associa naïvement ses larmes à celles de sa sœur. D’abord Marcel, un peu choqué d’une compassion si complaisante, ne dit rien : en dépit de la guerre, les deuils sur lesquels s’attendrissait sa femme étaient des deuils de famille, et il admettait que les affections domestiques restassent dans une certaine mesure étrangères aux haines nationales. Mais Luisa qui, faute de finesse, outrait parfois l’expression des plus naturels émois de son âme, finit par agacer si fort les nerfs de son époux qu’il se regimba contre cette excessive sentimentalité.

— Somme toute, dit-il un peu rudement, la guerre est la guerre, et, quoi que prétende ta sœur, ce sont les Allemands qui ont commencé. Quant à moi, je m’intéresse beaucoup plus à Jules et à ses compagnons d’armes qu’aux Hartrott, aux incendiaires de Louvain et aux bombardeurs de Reims. Si les fils d’Héléna ont été tués, tant pis pour eux.

— Comme tu es dur ! Comme tu manques de pitié pour ceux qui succombent à cet abominable carnage !

— Non, j’ai de la pitié plein le cœur ; mais je ne la répands point à l’aveugle sur les innocents et sur les coupables. Le capitaine Otto et ses frères appartenaient à cette caste militaire qui, durant quarante-quatre ans, avec une obstination muette et infatigable, a préparé le plus énorme forfait qui ait jamais ensanglanté l’humanité. Et tu voudrais que je