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avait péri sur le territoire tenu par les Français, et personne ne savait où ; il serait donc impossible de retrouver ses restes confondus parmi des milliers de cadavres, et la malheureuse mère ignorerait éternellement l’endroit où se consumerait ce corps sorti de ses entrailles. Un troisième fils avait été grièvement blessé en Pologne. Les deux filles avaient perdu leurs fiancés. Quant à Karl, il continuait à présider des sociétés pangermanistes et à faire des projets d’entreprises colossales pour le temps qui suivrait la prochaine victoire ; mais il avait beaucoup vieilli. Le savant de la famille, Julius, était plus solide que jamais et travaillait fiévreusement à un livre qui le couvrirait de gloire : c’était un traité où il établissait théoriquement et pratiquement le compte des centaines de milliards que l’Allemagne devrait exiger de l’Europe après la victoire décisive, et où il dressait la carte des régions sur lesquelles il serait nécessaire d’étendre la domination ou au moins l’influence germanique dans les cinq parties du monde. La lettre d’Héléna se terminait par ce cri désolé : « Tu comprendras mon désespoir, ma chère sœur. Nous étions si heureux ! Que Dieu châtie ceux qui ont déchaîné sur le monde tant de fléaux ! Notre empereur est innocent de ce crime. Ses ennemis seuls sont coupables de tout. »

De l’avenue Victor-Hugo, la bonne Luisa crut voir les pleurs versés à Berlin par la triste Héléna, et elle