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un innocent plaisir d’aller avec son « secrétaire » passer la soirée au music-hall ou au cinématographe ; et, pour ce qui était des aventures galantes, il se contentait de refaire un brin de cour à une ou deux « honnestes dames » auxquelles il avait jadis donné des leçons de tango.

Un après-midi, comme les deux amis remontaient les Champs-Elysées, ils firent une rencontre particulièrement intéressante. Ce fut Argensola qui aperçut le premier, à quelque distance, monsieur et madame Laurier venant en sens inverse sur le même trottoir. L’ingénieur, rétabli de ses blessures, n’avait perdu qu’un œil, et il avait été renvoyé du front à son usine, réquisitionnée par le gouvernement pour la fabrication des obus. Il portait les galons de capitaine et avait sur la poitrine la croix de la Légion d’honneur. Argensola, qui n’avait rien ignoré des amours de Jules, craignit pour celui-ci l’émotion de cette rencontre inattendue, et il essaya de détourner l’attention de son compagnon, de l’écarter du chemin que suivait le couple. Mais Jules, qui venait de reconnaître les Laurier, comprit l’intention d’Argensola et lui dit avec un sourire devenu tout à coup sérieux et même un peu triste :

— Tu ne veux pas que je la voie ? Rassure-toi : nous sommes l’un et l’autre en état de nous rencontrer sans danger et sans honte.

Lorsque lee Laurier passèrent à côté de lui, Jules