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langue de sa jeunesse, et ces voix lui donnaient l’illusion d’être là comme chez elle, près d’un dieu qui l’écoutait plus volontiers.

Lorsque les trois femmes priaient, agenouillées côte à côte, Luisa jetait de temps à autre sur Chichi un regard où il y avait un grain de mauvaise humeur. La jeune fille était pâle, songeuse, et tantôt elle fixait longuement sur l’autel des yeux estompés de bleu, tantôt elle courbait la tête comme sous le poids de pensées graves qui ne lui étaient point habituelles. Cette langueur ardente offusquait un peu la mère : ce n’était probablement pas pour Jules que Chichi priait avec cette ferveur passionnée.

Quant aux deux sœurs, elles ne demandaient ni l’une ni l’autre à Dieu le salut des millions d’hommes aux prises sur les champs de bataille : leurs prières plus égoïstes ne s’inspiraient que du seul amour maternel, n’avaient pour objet que le salut de leurs fils, exposés peut-être en cet instant même à un péril mortel. Mais, quand Luisa implorait le salut de Jules, ce qu’elle voyait mentalement, c’était le soldat que représentait une pâle photographie reçue des tranchées : la tête coiffée d’un vieux képi, le corps enveloppé d’une capote boueuse, les jambes serrées par des bandes de drap, la main armée d’un fusil, le menton assombri par une barbe mal rasée. Et, quand Héléna implorait le salut d’Otto et d’Hermann, l’image qu’elle avait dans l’esprit était celle de jeunes