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changea de sentiment. Quand elle était dans la rue avec René, elle regrettait qu’il ne fût que simple soldat et qu’il n’appartînt qu’aux milices de l’arrière. Pis encore : les femmes du peuple, exaltées par le souvenir de leurs hommes qui combattaient sur le front ou aigries par la mort d’un être cher, étaient d’une insolence agressive, de sorte qu’elle entendait souvent au passage de grossières paroles contre les « embusqués ». Au surplus, elle ne pouvait s’empêcher de se dire à elle-même que son frère, qui n’était qu’un Argentin, se battait sur le front, tandis que son fiancé, qui était un Français, se tenait à l’abri des coups. Ces réflexions pénibles la rendaient triste.

René remarqua d’autant plus aisément la tristesse de Chichi qu’elle ne l’avait pas habitué à une mine morose, et il devina sans peine la raison de cette mauvaise humeur. Dès lors sa résolution fut prise. Pendant trois jours il s’abstint de venir avenue Victor-Hugo ; mais, le quatrième jour, il s’y présenta dans un uniforme flambant neuf, de cette couleur bleu horizon que l’armée française avait adoptée récemment ; la mentonnière de son képi était dorée et les manches de sa vareuse portaient un petit galon d’or. Il était officier. Grâce à son père, et en se prévalant de sa qualité d’élève de l’École centrale, il avait obtenu d’être nommé sous-lieutenant dans l’artillerie de réservée, et il avait aussitôt demandé à être envoyé en première ligne. Il partirait dans deux jours.