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c’étaient les restes d’usines détruites par l’incendie. Des cheminées de brique étaient coupées presque à ras du sol ; d’autres, décapitées de la partie supérieure, montraient dans leurs moignons subsistants des trous faits par les obus.

De temps à autre, Marcel rencontrait des escouades de cavaliers, des gendarmes, des zouaves, des chasseurs. Ils bivouaquaient autour des ruines des fermes, chargés d’explorer le terrain et de donner la chasse aux traînards ennemis. Le châtelain dut leur expliquer son histoire, leur montrer le passeport qui lui avait permis de faire le voyage dans le train militaire. Ces soldats, dont quelques-uns étaient blessés légèrement, avaient la joyeuse exaltation de la victoire. Ils riaient, contaient leurs prouesses, s’écriaient avec assurance :

— Nous allons les reconduire à coups de pied jusqu’à la frontière.

Après plusieurs heures de marche, il reconnut au bord de la route une maison en ruines. C’était le cabaret où il avait déjeuné en se rendant à son château. Il pénétra entre les murs noircis, où une myriade de mouches vint aussitôt bourdonner autour de sa tête. Une odeur de chairs putréfiées le saisit aux narines. Une jambe, qui avait l’air d’être de carton roussi, sortait d’entre les plâtras. Il crut revoir la bonne vieille qui, avec ses petits-enfants accrochés à ses jupes, lui disait : « Pourquoi ces gens fuient-ils ?