Page:Blasco-Ibáñez - Les Quatre Cavaliers de l’Apocalypse.djvu/300

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

trice avait coûté la vie à beaucoup de Français. Des pantalons rouges, des képis, des chéchias, des casques à crinière, des sabres tordus, des baïonnettes brisées jonchaient la campagne. Çà et là on apercevait des tas de cendres et de matières carbonisées : c’étaient les résidus des hommes et des chevaux que les Allemands avaient brûlés pêle-mêle, pendant la nuit qui avait précédé leur recul.

Malgré ces incinérations barbares, les cadavres restés sans sépulture étaient innombrables, et, à mesure que Marcel s’éloignait du village, la puanteur des chairs décomposées devenait plus insupportable. D’abord il avait passé au milieu des tués de la veille, encore frais ; ensuite, de l’autre côté de la rivière, il avait trouvé ceux de l’avant-veille ; plus loin, c’étaient ceux de trois ou quatre jours. À son approche, des vols de corbeaux s’élevaient avec de lourds battements d’ailes ; puis, gorgés, mais non rassasiés, ils se posaient de nouveau sur les sillons funèbres.

— Jamais on ne pourra enterrer toute cette pourriture, pensa Marcel. Nous allons mourir de la peste après la victoire !

Les villages, les maisons isolées, tout était dévasté. Les habitations, les granges ne formaient plus que des monceaux de débris. Par endroits, de hautes armatures de fer dressaient sur la plaine leurs silhouettes bizarres, qui faisaient penser à des squelettes de gigantesques animaux préhistoriques :