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découragés, d’autres exaspérés par le recul accompli depuis la veille ; mais la plupart, avec la passivité de la discipline, demeuraient confiants. Le front de bataille n’était-il pas immense ? Qui pouvait prévoir le résultat final ? Ici on battait en retraite ; ailleurs on réalisait peut-être une avance décisive. Tout ce qu’il y avait à regretter, c’était qu’on s’éloignât de Paris.

Soudain ils se mirent tous à regarder en l’air, et Marcel les imita. En contractant les paupières pour mieux voir, il finit par distinguer, au bord d’un nuage, une sorte de libellule qui brillait au soleil. Dans les brefs intervalles de silence qui se produisaient parfois au milieu du tintamarre de l’artillerie, ses oreilles percevaient un bourdonnement faible qui paraissait venir de ce brillant insecte. Les officiers hochèrent la tête : « Franzosen ! » On ne pouvait distinguer les anneaux tricolores, analogues à ceux qui ornent les robes des pavillons ; mais la visible inquiétude des Allemands ne laissait aucun doute à Marcel : c’était un avion français qui survolait le château, sans prendre garde aux obus dont les bulles blanches éclataient autour de lui. Puis l’avion vira lentement et s’éloigna vers le sud.

« Il les a repérés, pensa Marcel ; il sait maintenant ce qu’il y a ici. » Et aussitôt tout ce qui s’était passé depuis l’aube parut sans importance au châtelain ; il comprit que l’heure vraiment tragique était venue, et