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En dépit de cet ordre, l’une des automobiles déchargea ses blessés : l’état de ces hommes était si grave que les médecins les acceptèrent, jugeant sans doute inutile que les malheureux poursuivissent leur voyage. Ces blessés demeurèrent à l’abandon dans le jardin, sur les brancards de toile qui avaient servi à les apporter.

À la lueur des lanternes, Marcel reconnut un de ces moribonds : c’était le secrétaire du comte, le professeur socialiste avec lequel il avait causé de l’attitude du parti ouvrier à l’égard de la guerre. Cet homme était blême, avait les joues tirées, les yeux comme obscurcis de brume ; on ne lui voyait pas de blessure apparente ; mais, sous la capote qui le recouvrait, ses entrailles, labourées par une épouvantable déchirure, exhalaient une puanteur d’abattoir. En apercevant Marcel debout devant lui, il se rendit compte du lieu où il se trouvait. Parmi tout ce monde qui s’agitait dans le voisinage, le châtelain était la seule personne qu’il connût, et, d’une voix faible, il lui adressa la parole comme à un ami. Sa brigade n’avait pas eu de chance ; elle était arrivée sur le front à un moment difficile, et elle avait été lancée tout de suite en avant pour soutenir des troupes qui fléchissaient ; mais elle n’avait pas réussi à rétablir la situation, et presque tous les officiers logés la veille au château avaient été tués. Dès le premier engagement, le capitaine Blumhardt avait eu la poitrine trouée par