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de l’opération laissaient un lit disponible pour les nouveaux venus. Les membres coupés, les os cassés, les lambeaux de chair s’entassaient dans des paniers, et, lorsque les paniers étaient pleins, des soldats les enlevaient tout dégouttants de sang, et allaient enfouir le contenu au fond du parc. D’autres soldats, par couples, emportaient de longues choses enveloppées dans des draps de lit : c’étaient des morts. Le parc se convertissait en cimetière et des tombes s’ouvraient partout. Les Allemands, armés de pioches et de pelles, se faisaient aider dans leur funèbre travail par une douzaine de paysans prisonniers, qui creusaient la terre et qui prêtaient main forte pour descendre les corps dans les fosses. Bientôt il y eut tant de cadavres qu’on les amena sur une charrette et que, pour faire plus vite, on les déchargea directement dans les trous, comme des matériaux de démolition.

Marcel, qui n’avait mangé depuis le matin qu’un des morceaux de pain trouvés par la concierge dans la salle à manger, après le départ des Allemands, et qui avait laissé les autres morceaux pour cette femme et pour sa fille, commença à sentir le tourment de la faim. Poussé par la nécessité, il s’approcha de quelques médecins qui parlaient le français ; mais il dédaignèrent de répondre à sa demande, et, lorsqu’il voulut insister, ils le chassèrent par une injurieuse bourrade. Eh quoi ? Lui faudrait-il donc mourir de faim dans son propre château ? Pourtant ces gens