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avait pas une âme. Les cadavres avaient disparus mais une horrible puanteur de graisse brûlée et de chair décomposée prenait Marcel aux narines.

Arrivé sur la place, il s’approcha des maisons restées debout, appela à plusieurs reprises. Personne ne lui répondit. Toute la population avait donc abandonné Villeblanche ? Après avoir attendu plusieurs minutes, il aperçut un vieillard qui s’avançait vers lui avec précaution, parmi les décombres. Quelques femmes et quelques enfants suivirent le vieillard et se rassemblèrent autour de Marcel. Depuis quatre jours ces gens vivaient cachés dans les caves, sous leurs logis effondrés. La crainte leur avait fait oublier la faim ; mais, depuis que l’ennemi n’était plus là, ils ressentaient cruellement les besoins physiques étouffés par la terreur.

— Du pain, monsieur ! Mes petits se meurent !

— Du pain !… Du pain !…

Machinalement, le châtelain mit la main à la poche et en tira des pièces d’or. À l’aspect de ce métal les yeux brillèrent, mais ils s’éteignirent aussitôt. Ce qu’il fallait, ce n’était pas de l’or, c’était du pain, et il n’y avait plus dans le village ni boulangerie, ni boucherie, ni épicerie. Les Allemands s’étaient emparés de tous les comestibles, et le blé même avait péri avec les greniers et les granges. Que pouvait le millionnaire pour remédier à cette détresse ? Quoiqu’il se rendît compte de son impuissance, il n’en distribua