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bleue et à la barbe annelée. On fusillait l’adversaire, encore qu’il n’eut pas pris les armes ; on assassinait les blessés et les prisonniers ; on acheminait vers l’Allemagne le troupeau des populations civiles, asservies comme les captifs d’autrefois. À quoi donc avait servi ce que les modernes appellent orgueilleusement le progrès ? Qu’étaient devenues ces lois de la guerre qui se vantaient de soumettre la force elle-même au respect du droit et qui prétendaient obliger les hommes à se battre en se faisant les uns aux autres le moins de mal possible ? La civilisation n’était-elle qu’un trompe-l’œil et une duperie ?…

Chaque matin, vers midi, la femme du concierge montait à la mansarde pour avertir son maître qu’elle lui avait préparé à déjeuner ; mais il répondait qu’il n’avait pas faim, qu’il ne voulait pas descendre. Alors elle insistait, lui offrait d’apporter dans la mansarde le maigre menu. Il finissait par consentir, et, tout en mangeant, il causait avec elle.

Elle lui racontait ce qui se passait au château. Ah ! quelle vie menait cette soldatesque ! Comme ils buvaient, chantaient, hurlaient ! Après une furieuse ripaille, ils avaient brisé tous les meubles de la salle à manger ; puis ils s’étaient mis à danser, quelques-uns à demi nus, imitant les dandinements et les grimaces féminines. Le comte lui-même était ivre comme une bourrique, et, vautré sur les coussins d’un divan, il contemplait avec délices ce hideux spectacle.