Page:Blasco-Ibáñez - Les Quatre Cavaliers de l’Apocalypse.djvu/264

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la rudesse de leur extérieur et par la férocité de la discipline qui les oblige à commettre sans scrupule les actions les plus atroces ; mais, quand on vit avec eux dans l’intimité, on retrouve la bonne nature sous les dehors du barbare. En temps de paix, Blumhardt avait sans doute été obèse ; mais il avait aujourd’hui l’apparence mollasse et détendue d’un organisme qui vient de subir une perte de volume. Il n’était pas difficile de reconnaître que c’était un bourgeois arraché par la guerre à une tranquille et sensuelle existence.

— Quelle vie ! continua Blumhardt. Puisse Dieu châtier ceux qui ont provoqué une pareille catastrophe !

Cette fois, Marcel fut conquis. Il crut voir devant lui l’Allemagne qu’il avait imaginée souvent : une Allemagne douce, paisible, un peu lente et lourde, mais qui rachetait sa rudesse originelle par un sentimentalisme innocent et poétique. Ce chef de bataillon était assurément un bon père de famille, et le châtelain se le représenta tournant en rond avec sa femme et ses enfants sous les tilleuls de quelque ville de province, autour du kiosque où des musiciens militaires jouaient des sonates de Beethoven ; puis à la Bierbraurei, où, devant des piles de soucoupes, entre deux conversations d’affaires, il discutait avec ses amis sur des problèmes métaphysiques. C’était l’homme de la vieille Allemagne, un personnage