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comte en le faisant asseoir à sa droite. Vous n’avez pas peur qu’ils vous dévorent tout vivant ?

Les officiers rirent aux éclats de l’esprit de Son Excellence et firent d’évidents efforts pour montrer par leurs paroles et par leurs manières combien on avait tort de les accuser de barbarie.

Assis comme un étranger à sa propre table, Marcel y mangea dans les assiettes qui lui appartenaient, servi par des ennemis dont l’uniforme restait visible sous le tablier rayé. Ce qu’il mangeait était à lui ; le vin venait de sa cave ; la viande était celle de ses bœufs ; les fruits étaient ceux de son verger ; et pourtant il lui semblait qu’il était là pour la première fois, et il éprouvait le malaise de l’homme qui tout à coup se voit seul au milieu d’un attroupement hostile. Il considérait avec étonnement ces intrus assis aux places où il avait vu sa femme, ses enfants, les Lacour. Les convives parlaient allemand entre eux ; mais ceux qui savaient le français se servaient souvent de cette langue pour s’entretenir avec l’invité, et ceux qui n’en baragouinaient que quelques mots les répétaient avec d’aimables sourires. Chez tous le désir était visible de plaire au châtelain.

Marcel les examina l’un après l’autre. Les uns étaient grands, sveltes, d’une beauté anguleuse ; d’autres étaient carrés et membrus, avec le cou gros et la tête enfoncée entre les épaules. Tous avaient les cheveux coupés ras, ce qui faisait autour de la table