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L’après-midi, le concierge alla voir ce qui se passait au château, et il revint dire à Marcel que le général en avait pris possession avec sa suite. Pas une porte ne restait close : elles avaient toutes été enfoncées à coups de crosse et à coups de hache. Beaucoup de meubles avaient disparu, ou cassés, ou enlevés par les soldats. L’officier d’intendance rôdait de pièce en pièce, y examinait chaque objet, dictait des instructions en allemand. Le commandant du corps d’armée et son entourage se tenaient dans la salle à manger, où ils buvaient en consultant de grandes cartes étalées sur le parquet. Ils avaient obligé le concierge à descendre dans les caves pour leur en rapporter les meilleurs vins.

Dans la soirée, la marée humaine qui couvrait la campagne reprit son mouvement de flux. Plusieurs ponts avaient été jetés sur la Marne et l’invasion poursuivait sa marche. Certains régiments s’ébranlaient au cri de : Nach Paris ! D’autres, qui devaient rester là jusqu’au lendemain, se préparaient un gîte, soit dans les maisons encore debout, soit en plein air. Marcel entendit chanter des cantiques. Sous la scintillation des premières étoiles, les soldats se groupaient comme des orphéonistes, et leurs voix formaient un chœur solennel et doux, d’une religieuse gravité. Au-dessus des arbres du parc flottait une nébulosité sinistre dont la rougeur était rendue plus intense par les ombres de la nuit : c’étaient les reflets du village