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moment à l’autre avec son état-major. Ah ! le pauvre château historique !

Marcel, écœuré, se retira dans le pavillon de la conciergerie et s’y affala sur une chaise de la cuisine, les yeux fixés à terre. La femme du concierge le considérait avec étonnement.

— Ah ! monsieur ! Mon pauvre monsieur !

Le châtelain appréciait beaucoup la fidélité de ces bons serviteurs, et il fut touché par l’intérêt que lui témoignait la femme. Quant au mari, faible et malade, il avait sur le front la trace noire d’un coup que lui avaient donné les soldats, alors qu’il essayait de s’opposer à la spoliation du château en l’absence de son maître. La présence même de leur fille Georgette évoqua dans la mémoire de Marcel l’image de Chichi, et il reporta sur elle quelque chose de la tendresse qu’il éprouvait pour sa propre fille. Georgette n’avait que quatorze ans ; mais depuis quelques mois elle commençait à être femme, et la croissance lui avait donné les premières grâces de son sexe. Sa mère, par crainte de la soldatesque, ne lui permettait pas de sortir du pavillon.

Cependant le millionnaire, qui n’avait rien pris depuis le matin, sentit avec une sorte de honte qu’en dépit de la situation tragique son estomac criait famine, et la concierge lui servit sur le coin d’une table un morceau de pain et un morceau de fromage, tout ce qu’elle avait pu trouver dans son buffet.