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personnes que l’on brutalisait. Tandis que ces personnes allaient s’aligner le long d’un mur, à vingt mètres du peloton, il les reconnut : le maire, le curé, le garde forestier, trois ou quatre propriétaires du village. Le maire avait sur le front une longue estafilade, et un haillon tricolore pendait sur sa poitrine, lambeau de l’écharpe municipale qu’il avait ceinte pour recevoir les envahisseurs. Le curé, redressant son corps petit et rond, s’efforçait d’embrasser dans un pieux regard les victimes et les bourreaux, le ciel et la terre. Il paraissait grossi ; sa ceinture noire, arrachée par la brutalité des soldats, laissait son ventre libre et sa soutane flottante ; ses cheveux blancs ruisselaient de sang, et les gouttes rouges tombaient sur son rabat. Aucun des prisonniers ne parlait : ils avaient épuisé leurs voix en protestations inutiles. Toute leur vie se concentrait dans leurs yeux, qui exprimaient une sorte de stupeur. Était-il possible qu’on les tuât froidement, en dépit de leur complète innocence ? Mais la certitude de mourir donnait une noble sérénité à leur résignation.

Quand le prêtre, d’un pas que l’obésité rendait vacillant, alla prendre sa place pour l’exécution, des éclats de rire troublèrent le silence. C’étaient des soldats sans armes qui, accourus pour assister au supplice, saluaient le vieillard par cet outrage : « À mort le curé ! » Dans cette clameur de haine vibrait le fanatisme des guerres religieuses. La plupart des