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assis par terre. Le chauffeur leur cria de débarrasser la route ; et alors, avec leurs fusils et avec leurs pieds, ils poussèrent les morts encore tièdes, qui, à chaque tour qu’ils faisaient sur eux-mêmes, répandaient une traînée de sang. Dès qu’il y eut assez de place, l’automobile démarra. Marcel entendit un craquement, une petite secousse : les roues de derrière avaient écrasé un obstacle fragile. Saisi d’horreur, il ferma les yeux.

Quand il les rouvrit, il était sur la place. La mairie brûlait ; l’église n’était plus qu’une carcasse de pierres hérissées de langues de feu. Là, Marcel put se rendre compte de la façon dont l’incendie était méthodiquement propagé par une troupe de soldats qui s’acquittaient de cette sinistre besogne comme d’une corvée ordinaire. Ils portaient des caisses et des cylindres de métal ; un chef marchait devant eux, leur désignait les édifices condamnés ; et, après qu’ils avaient lancé par les fenêtres brisées des pastilles et des jets de liquide, l’embrasement se produisait avec une rapidité foudroyante.

De la dernière maison que ces soldats venaient de livrer aux flammes, le châtelain vit sortir deux fantassins français qui, surpris par le feu et à demi asphyxiés, traînaient derrière eux des bandages défaits, tandis que le sang ruisselait de leurs blessures mises à nu. Épuisés de fatigue, ils n’avaient pu suivre la retraite de leur régiment. Dès qu’ils parurent, cinq ou six Allemands s’élancèrent sur eux, les criblèrent