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accoutumé à considërer le vin comme une boisson dont les riches avaient le privilège, pouvait défoncer les tonneaux à coups de crosse et se baigner les pieds dans les flots du précieux liquide. Chaque bataillon laissait comme trace de son passage un sillage de bouteilles vides. Les fourgons, ne pouvant renouveler leurs provisions de vivres, se chargeaient de futailles lorsqu’ils passaient dans les villages. Dépourvu de pain, le soldat recevait de l’alcool.

Lorsque l’automobile entra dans Villeblanche, elle dut ralentir sa marche. Des murs calcinés s’étaient abattus sur la route, des poutres à demi carbonisées obstruaient la chaussée, et la voiture était obligée de virer entre les décombres fumants. Les maisons des notables brûlaient comme des fournaises, parmi d’autres maisons qui se tenaient encore debout, saccagées, éventrées, mais épargnées par l’incendie. Dans ces brasiers de poutres crépitantes on apercevait des chaises, des couchettes, des machines à coudre, des fourneaux de cuisine, tous les meubles du confort paysan, qui se consumaient ou qui se tordaient. Marcel crut même voir un bras qui émergeait des ruines et qui commençait à brûler comme un cierge. Un relent de graisse chaude se mêlait à une puanteur de fumerolles et de débris carbonisés.

Tout à coup l’automobile s’arrêta. Des cadavres barraient le chemin : deux hommes et une femme. Non loin de ces cadavres, des soldats mangeaient,