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assumé pour toute ma vie une charge très lourde et néanmoins très douce : jamais plus je ne me séparerai de cet homme que j’ai si cruellement offensé, qui maintenant est seul au monde et qui aura peut-être besoin jusqu’à son dernier jour d’être soigné et servi comme un enfant. Séparons-nous donc et suivons chacun notre chemin ; le mien, c’est celui du sacrifice et du repentir ; le tien, c’est celui de la joie et de l’honneur. Ni toi ni moi, nous ne voudrions outrager cet homme au noble cœur, que la cécité rend incapable de se défendre. Notre amour serait une vilenie. Jules baissait les yeux, perplexe, vaincu.

— Écoute, Marguerite, déclara-t-il enfin. Je lis dans ton âme. Tu aimes ton mari et tu as raison : il vaut mieux que moi. Avec toute ma jeunesse et toute ma force, je n’ai été jusqu’ici qu’un inutile ; mais je puis réparer le temps perdu. La France est le pays de mon père et le tien : je me battrai pour elle. Je suis las de ma paresse et de mon oisiveté, à une époque où les héros se comptent par millions. Si le sort me favorise, tu entendras parler de moi.

Ils avaient tout dit. À quoi bon prolonger cette entrevue pénible ?

— Adieu, prononça-t-elle, plus résolue que lui, mais tout à coup devenue pâle. Il faut que je retourne auprès de mon blessé.

— Adieu, répondit-il en lui tendant une main qu’elle prit et serra sans hésitation, d’une étreinte virile.